Oui, Carlo Strenger, psychanalyste, auteur de « La peur de l’insignifiance nous rend fous » est une bonne nouvelle. D’abord parce que contre vents marées, il incarne les positions d’une gauche israélienne libérale anti –colonialiste de plus en plus en butte à la pression de religieux n’hésitant pas à procréer en masse, pour, à défaut de cerveaux, fournir le plus grand nombre de bras à leur cause, ensuite par que Carlo Strenger ne ressemble pas aux intellectuels d’ici. Voilà un honnête homme, « chercheur en vie meilleure », parcourant le monde, militant dans des associations anti-terroristes, examinant au plus près les différentes sociétés et modes de pensées rencontrées et tentant d’en faire une synthèse utile. A ce moment très précis de notre histoire où nous nous apercevons enfin que nous pédalons dans la choucroute, il nous paraît essentiel de suivre l’auteur quand il nous invite à mettre en place une forme de « dédain civilisé » c’est à dire une écoute attentive de toutes les formes de pensée pourvu qu’elles ne soient pas disposées à faire régner la terreur. Le drame de notre époque pourrait bien être celui de la quantification, c’est à dire une nouvelle capacité à tout classer, hiérarchiser en fonction d’une performance économique. La bourse est notre nouveau paradigme. Tous ceux qui n’auront pas atteint une côte minimum acceptable devront passer à la trappe. Victime du tout marché l’homo globalis est soit disant libre « just do it » est son nouveau crédo. Sur l’autel de la bourse du moi, tous les anonymes, les obscurs sont invités à devenir la star de leur propre vie. Ainsi une minorité disposant de la puissance économique et politique entretiendrait des millions d’obscurs dans l’illusion qu’ils pourraient devenir un jour célèbres.
Carlo Strenger dénonce l’emprise totalitaire du marché, mais pas l’exploitation capitaliste de l’homme par l’homme. Pour lui, que nous avons rencontré à Paris, les différents systèmes se ressemblent dangereusement et l’emprise d’internet sur nous vies, sa capacité à accélérer des modes de célébration illusoires, n’est pas propre au capitalisme dominant. Nous nous sommes de même étonnés que l’auteur dénonce l’anti-intellectualisme de Sartre, Foucault et de quelques autres, Strenger dénonce la myopie de penseurs vomissant l’occident colonialiste sans voir qu’en Asie, au Moyen Orient et ailleurs les autres civilisations ont commis les mêmes forfaits. Il faut donc repenser le monde autrement avec rigueur, ouverture d’esprit et anti-dogmatisme. Au système de domination par l’argent, il faudra opposer à l’échelle mondiale le pouvoir des citoyens et de la pensée humaniste. Carlo Strenger bien loin de nier notre liberté, veut comme les existentialistes, la confronter à notre finitude.
C’est bien parce que nous sommes conscients d’être mortels que nous sommes en quête d’une église ou d’une autre. Dénoncer la religion ne sert à rien si l’on n’est pas capable d’analyser ce qui nous conduit à nous réfugier dans ce type d’impasse. Il se trouvera ici et là des puristes prompts à regretter que des hommes de bonne volonté veuillent nous aider à « bricoler » un avenir meilleur. Au stade zéro où nous en sommes, plutôt que de ricaner et de fermer la porte du club, nous préférons, en toute modestie, pratiquer ce que l’auteur nomme le dédain civilisé. Il est hors de doute que celui qui est assez généreux pour jouer le rôle de « l’autre » puisse nous aider à trouver notre propre chemin.
FB
Carlo Strenger
La peur de l’insignifiance nous rend fous »
Préface Pascal Bruckner – traduction de Philippe Delamare
Editions Belfond