Monique et Michel Pinçon-Charlot sociologues

« La violence des riches » de Monique et Michel Pinçon-Charlot —

La bourgeoisie «  travaillant pour elle seule, exploitant pour elle seule, massacrant pour elle seule, il lui est nécessaire de faire croire qu’elle travaille, qu’elle exploite, qu’elle massacre pour le bien final de l’humanité. Elle doit faire croire qu’elle est juste. Et elle même doit le croire. M.Michelin doit faire croire qu’il ne fabrique des pneus que pour donner du travail à des ouvriers qui mourraient sans lui »

Paul Nizan, les chiens de garde, 1932

Sociologues de terrain, Monique et Michel Pinçon Charlot connaissent bien la grande bourgeoisie. A maintes reprises ils ont eu  l’occasion d’étudier leur mode de vie, leurs rituels, leurs interconnections plus ou moins incestueuses. Cet aspect concret de leurs travaux, ajouté à une réflexion pointue, est important, car il permet à tout un chacun de se situer, sans prétendre être réfractaire à un jargon que seuls les initiés pourraient comprendre. « La violence des riches » leur dernier ouvrage témoigne de l’immense casse sociale en cours. La bourgeoisie néo-libérale  qui a lancé depuis plusieurs décennies ses chiens de garde à l’assaut d’un langage trop explicite quant à la réalité de leur domination, est aujourd’hui la classe la plus solidaire qui soit, à l’échelle mondiale. Avec l’atomisation des tâches et le recul de « l’usine » comme lieu de cristallisation des oppositions, la bourgeoisie réussit de façon brillante à faire passer son entreprise de destruction  pour du modernisme. L’ouvrier,le fonctionnaire, le syndicaliste sont des « has been », des conservateurs profitant des situations acquises, alors que la marche du monde nécessiterait que l’on aille de l’avant. L’entreprise  de spoliation est pour le moins sophistiquée et le silence obtus de la grande majorité des médias ne contribue pas à dissiper l’opacité ambiante. Le vol s’établit à plusieurs niveaux. Il est d’abord économique. Mais là également les sociologues distinguent plusieurs volets. Il y a ce qui est considéré comme vol au regard des lois édictées par cette même bourgeoisie : il s’agit de fraude fiscale, de dissimulation de fortunes dans les paradis fiscaux, de fraude à la sécurité sociale, de subventions utilisées sans le moindre contrôle et volontiers détournées de leur objet, etc

Mais le vol économique le plus considérable se produit au moment du partage du gâteau. La pression morale, le chantage au chômage, la dématérialisation de l’économie  accompagnée de sa financiarisation et sans doute aussi d’un immense découragement des travailleurs parcellisés contribue jour après jour à augmenter les dividendes des actionnaires et les super bonus des cadres dirigeants au détriment des classes populaires.

Cette violence des riches  est aussi une violence symbolique. Elle est pour la classe dominante d’une importance décisive. Jour après jour les artisans du mépris que sont la plupart des médias associés à de brillants idéologues et communicateurs  façonnent la langue de telle façon que la réalité de la casse disparaisse derrière un vocabulaire lénifiant. « Car la servitude passe d’abord par l’intériorisation des bonnes raisons que les plus riches font miroiter pour faire valoir leurs intérêts au nom de l’intérêt général » Le cynisme et le mépris sont tels que l’on va faire disparaître tout ce qui peut s’apparenter à une mémoire des luttes. Conceptuellement, il s’agit ni plus ni moins que de faire disparaître l’autre, l’ennemi de classe, il faut le néantiser. A Boulogne qui n’est plus Billancourt, qui pourrait encore se rendre compte que la forteresse des luttes sociales «  la régie Renault » a existé ?  Il ne reste aucune trace. Ainsi la maison de la Mutualité où Sarkozy a tenu à faire un meeting pendant la dernière campagne présidentielle est en passe de devenir une sorte de palais. Le triomphe de l’idéologie est à son zénith quand ce sont les exploités eu même qui en viennent à consentir à ce qui les annihile. Mais la droite française n’a pas le monopole de la casse. La social démocratie, autre branche de bourgeoisie dominante, agissant à travers l’ensemble des mêmes circuits consanguins, fait sensiblement le même travail. La violence des riches est une somme, les preuves factuelles apportées sont indéniables. Le livre pose de vraies questions au delà du périmètre qu’il s’est fixé. Par exemple :

A lire la première partie du livre on pourrait presque croire que la période  du capitalisme industriel était moins violente que celle que nous connaissons aujourd’hui. On ne peut soupçonner les Pinçon –Charlot de complaisance vis à vis du capitalisme présent ou passé, par contre il est vrai que dans une situation d’opposition frontale , l’ennemi de classe avait un visage et  le travail comme la solidarité un territoire précis pour s’exercer.

Aujourd’hui le capitalisme français est comme les autres financiarisé mais il reste moins que transparent car largement influencé par une  stratification socio-économique  datant de la période où les grandes familles faisaient la loi.

Malgré quelques avancées de détail il semble que la social- démocratie soit devenue l’ennemi principal. D’ailleurs le visage bon enfant et sympathique de François Hollande est versé à son débit, car symboliquement plus trompeur que celui grimaçant de Nicolas Sarkozy.

S’il y a une nature mauvaise de la social démocratie pourquoi avoir voté pour elle aux élections présidentielles de 2012 ? Ses connections coupables étaient déjà connues. On ne peut nier ni les avancées ni les reculades de la gauche au pouvoir, mais plutôt que de s’attarder sur ses vilenies ne serait –il pas plus utile de se mobiliser pour faire pression sur elle ? Et c’est sûrement là que le bat blesse. Face à une classe dominante organisée à l’échelle mondiale, les classes populaires violentées, fragmentées, découragées, désespérées ne font pas le poids.

On se prend soudain à penser que la grande fatigue des travailleurs est aussi celle des camarades sociologues. Est-ce la faute du parti socialiste si le PC, le Front de gauche et l’extrême gauche ne réussissent pas à mobiliser les masses ?  Peut être en partie, mais la dynamique d’une contre-offensive ne passe pas par cette unique focalisation. Le livre de Monique et Michel Pinson- Charlot est un bel outil au service d’une contre-offensive possible. Il reste à inventer un discours, de nouvelles formes de mobilisation qui puissent enrayer puis triompher de la domination néo-libérale, qui entre autres armes, use et abuse de cette désespérance rampante qui plombe tout un chacun. Haut les cœurs, cette douleur qui nous étreint prouve que nous sommes encore vivants.

François Bernheim

 

Monique et Michel Pinçon Charlot

La violence des riches

Editions Zones

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