Le Nigéria n’est sans doute pas la seule contrée du monde, où les hommes et les femmes, en particulier les jeunes gens, émigrent aux Etats-Unis. Dans ce pays les uns et les autres subissent la dictature, les assassinats, les violences, l’arbitraire. Dans ce pays les fils de professeurs volent leurs parents et les amis de leurs parents en toute impunité, puisque ce sont obligatoirement les voyous du centre ville qui commettent ces méfaits. Au Nigéria dit Edward, l’un des personnages de Jumping Monkey Hill, les femmes ne sont pas des victimes et la preuve qu’elles ne sont pas maltraitées, c’est qu’elles occupent des postes élevés, « à l’heure actuelle le ministre le plus puissant du gouvernement est une femme »
Cette affirmation n’est ni plus ni moins qu’un refus de prendre en compte la réalité vécue du pays qui est celle de l’oppression. Les femmes dont parle Chimamanda Ngozi Adichie dans son recueil de nouvelles « Autour de ton cou » ne sont ni des militantes ni des pétroleuses et pourtant elles ne sont en rien soumises à l’ordre établi. Les vies décrites semblent chuchotées à la limite du silence, comme si elles ne pouvaient s’exprimer que dans les rares interstices où la vie n’a pas été cadenassée. Une femme, dont les soldats ont tué son fils fait la queue pour obtenir un visa. Son mari journaliste intègre a été obligé de s’enfuir. Arrivée au guichet, elle refuse de vendre son histoire. La romancière ne bâtit pas un discours sur la vie des déshéritées, qu’elles restent au pays ou découvrent que l’eldorado américain n’est qu’une nouvelle galère, elle est dans leurs pas, sans doute dans leur peau, dans leurs souffrances mais aussi dans ces instants fugitifs aussi fragiles qu’un tremblement où la complicité entre deux êtres devient une véritable révélation. Ainsi la conversation entre une jeune bourgeoise et une marchande de confession musulmane au milieu des attentats et violences urbaines.la marchande accepte de laisser son foulard à l’autre qui est blessée, au cas où le sang se remettrait à couler. Ainsi les rapports amicaux entre une femme et un homosexuel sans papiers qui a tout perdu. Ensemble ils ont des fous-rire irrésistibles, libérateurs. Emigrer aux USA signifie-t-il que l’on jette aux orties la culture ancestrale ? Non. Grace, la petite fille éduquée d’une femme de tradition qui a cru bon de faire convertir son fils au catholicisme pour qu’il intègre le chemin de la réussite, refuse d’abandonner sa grand mère et ses croyances. Pour ceux qui entourent la jeune fille la culture africaine n’est que superstition ou bavardage. L’aïeule est en train de mourir, un sixième sens avertit Grace qu’elle doit rentrer en toute urgence. Elle sera là pour lui tenir la main. Plus tard elle changera de nom et deviendra Afamefuna.
A quel endroit du corps humain se loge la dignité ? Impossible de répondre, mais toutes ces femmes embrassées avec amour par Chimamanda sont vivantes dans leur chair, dans leur cœur. Elles sont des femmes « debout »
Parler d’elles un 8 mars, journée internationale consacrée aux femmes est pour moi un grand bonheur.
François Bernheim
AUTOUR DE TON COU
Nouvelles de Chimamanda Ngozi Adichie
Editions Gallimard