La nouvelle « fondement de la domination » a été écrite en Décembre 2012. A un moment où il était question de tout, sauf de la renonciation du pape. Le fait de l’évoquer, deux mois avant son annonce publique inciterait à penser que le blog «  Mardi ça fait désordre a quelques amis au sein de la curie. Gardons tout de même à l’esprit qu’il ne s’agit que d’une fiction mettant en cause une papauté imaginaire.

L’auteur de cette nouvelle est à priori un homme que la grossièreté n’effraie pas. Plutôt que d’un esprit vulgaire gageons qu’il s’agit d’un individu assez pudique pour prendre le risque  que son énorme colère s’exprime sous le masque de la trivialité. La sujétion dans laquelle nous tiennent des organisations tentaculaires et dogmatiques, le Vatican en fait partie, mérite autant réflexion, qu’explosion. Car en définitive c’est toujours la liberté qu’il s’agit de porter au plus haut de nos exigences.

 

Fondement  de la domination

Vlad Babel se réveille tétanisé. Aurait-il fait un cauchemar ? Ses oreilles habituées pourtant aux pires dissonances du free jazz menacent d’éclater. La voix hurle : « Bravo Ducon tu es autorisé à mettre un doigt dans l’anus du pape. « Ducon, apprends à te servir de ton majeur, avant un mois il pourrait être mis à l’honneur. « La voix est grasse, vulgaire et ce qu’elle énonce est abominable. Pire elle semble trouver sa source dans le ventre de  Vlad qu’elle utilise comme caisse de résonnance. Athée et fier de l’être, il appartient à la tribu informelle des chercheurs engagés depuis de longues années dans le mouvement social. Aussi peu préparé que possible à une attaque d’une telle bassesse, il est anéanti. Au bout de dix minutes, il dit « ça suffit ». Il se lève s’habille et court jusqu’au kiosque à journaux. Le kiosquier, grand admirateur de Rosa Luxembourg et viscéralement anti- clérical, lui a mis de côté les hebdos d’extrême gauche qu’il achète régulièrement. Vlad les repose sur le comptoir. Il voudrait seulement savoir s’il y a une actualité papale. Le Kiosquier est hilare : t’es pas en train de virer de bord amigo. Il pointe du doigt la une des principaux hebdos de la semaine. Sur chaque couverture sa sainteté trône en majesté.  Elu il y a moins de deux mois, après une bataille d’une virulence exacerbée, le nouveau pape, porte parole du conservatisme le plus rétrograde, sera reçu à Paris dans deux semaines. Au cours de son séjour dans la capitale, il  prononcera, urbi et orbi, un discours décisif sur le nouveau visage de la religion catholique. Vlad fait une razzia sur tous les hebdos. Il les balance ensuite dans un vide ordures proche. Son geste loin de le calmer attise sa rage. Il court jusqu’au prochain kiosque et réédite la même opération. Cela ne lui suffit pas. il irait bien dans une église pour démolir tout ce qui peut l’être. Mais opérer à main nue est illusoire .Il entre dans une quincaillerie et achète une grosse masse. Vous êtes du bâtiment lui demande poliment l’employée. Non bave-il. J’appartiens à la corporation des mécréants, je fais partie de ceux qui ne savent faire que des réponses imbéciles à des questions idiotes. Ah répond la jeune femme impressionnée, vous avez de la chance d’avoir de l’instruction. Sûrement pas aboie-t-il avant de passer à la caisse et de se retrouver à l’air libre. Il est tellement en colère, qu’il ne peut s’empêcher de faire des moulinets avec sa masse. Sa musculature n’étant pas à la hauteur de son émotion, l’outil lui échappe, heurte un poteau et vient retomber sur son pied droit. Il hurle, invective méchamment un agent de police prêt lui venir en aide. L’autre proteste poliment. Vlad menace de le frapper. D’autres agents venus à la rescousse le maitrisent. On l’amène au poste. Le commissaire qui vient de faire poser une moquette beigeasse toute neuve dans son bureau, ordonne qu’il soit emmené aux urgences. A l’hôpital, on le fera  attendre le blessé six heures avant de l’examiner. Une jeune interne le pilote à travers les différents services. Bilan : trois fractures. Il a interdiction de marcher pendant un mois. Son pied sera bandé plâtré. L’interne viendra lui enlever son plâtre d’ici trois semaines. Première bonne nouvelle de la journée éructe Vlad.

La jeune femme  n’a jamais vu un homme en proie à une telle rage. Elle aimerait pouvoir l’aider. Aussi mal disposé qu’il soit Vlad la trouve sympathique. Il lui raconte toute l’histoire sans omettre de préciser que dans sa famille on est marxiste de père en fils. Lui même a écrit sur la question épistémologique des écrits appréciés par les chercheurs du monde entier. Angela est captivée. Elle hésite une seconde  et s’empresse de poser la question qui fâche : avez vous jamais utilisé un de vos doigts pour visiter l’anus  d’un homme ?

– Votre question est intéressante, car elle  laisse permet de voir le problème sous un tout autre angle : je ne serais pas l’objet d’une provocation papiste, mais plutôt d’un fantasme homosexuel. Franchement je n’ai jamais visité un anus male, ni n’ai rêvé de le faire. Et puis le pape tout ridé et moche n’est pas n’importe quel homme. Excusez ma vulgarité mais baiser son anneau ou lui mettre un doigt dans l’anus est pour moi, un acte d’allégeance insupportable. Angela acquiesce.  Mais comment pourrait-elle lui venir en aide ?

– Cher Vlad, J’ai un ami prêtre qui se targue d’être aussi un homme libre, il pourrait sans doute vous  éclairer. L’intellectuel prend les coordonnées de l’ecclésiastique et remercie Angela. Le soir même il compose son numéro. Le prêtre connait ses travaux et les apprécie. Mais il est prêt à avoir avec lui une conversation sur tout autre sujet. Rendez vous est pris pour le lendemain soir. Il sonne à l’heure convenue et écoute avec la plus grande attention ce que l’intellectuel a à lui dire. Ensuite il se tait.  Après un quart d’heure de réflexion Il se lève de son siège pour arpenter la pièce d’un pas fébrile.

– N’importe quel psy dirait que vous avez été victime d’une hallucination mais je ne le crois pas. Vous serez peut être étonné de savoir que je ne tiens pas l’église en plus haute estime que la mafia. Je pense que l’on cherche à vous discréditer et je n’aime guère ce genre de méthodes. Si vous m’y autorisez je peux avoir une conversation confidentielle avec le cardinal qui organise la venue du pape à Paris. Il n’est pas meilleur que les autres mais il ne m’a jamais menti. Le lendemain soir le prêtre rappelle Vlad. Il semble contrarié. Il a parlé au cardinal. Le prélat a affirmé et réaffirmé qu’à sa connaissance l’Eglise catholique en proie à une guerre intestine d’une ampleur sans pareille, avait d’autres chats à fouetter qu’à jeter le discrédit sur un intellectuel marxiste . Mais n’étant pas une brute et comprenant très bien le malaise suscité par des rumeurs incontrôlées, il était prêt à rassurer un adversaire de la foi, qu’il jugeait malgré ses errements, tout à fait estimable. Il avait donc laissé au prêtre son numéro de téléphone personnel. Son ami pouvait l’appeler et si nécessaire il trouverait volontiers quelques minutes pour lui rendre visite. Vlad  remercia chaleureusement le prêtre. Il avait compris que ce dernier ne faisait pas vraiment confiance au cardinal, mais  Il devait prendre le temps de se faire sa propre opinion. Après 48 heures de réflexion, il n’était pas plus avancé. Alors il prit une pièce de monnaie et la lança en l’air. Pile il ne décrochait pas son téléphone, Face il invitait le Cardinal à lui rendre visite. Face. Il décrocha le combiné. Le prélat le remercia de sa confiance et proposa de lui rendre visite dès le lendemain matin.

L’homme arborait une soixantaine d’années bien fatiguées à l’intérieur d’une soutane noire  sans le moindre ornement. A peine assis il aborda de front le sujet qui motivait sa visite. A un moment où l’église vivait, une des plus douloureuses crises de son histoire, l’éthique  était plus que jamais le pilier essentiel de la foi. Bien que les adversaires de la religion aient dépensé des fortunes pour accréditer l’idée que Rome était  le lupanar le mieux achalandé du monde, l’église était pure et sans haine. Certes ajouta l’homme soudain enflammé par son propre discours, le pape reçoit toutes sortes de mécréants, mais quelle soit la nature de l’échange, le niveau du débat reste à un niveau ne souffrant aucune forme d’irrespect.

– Puisque vous l’affirmez.

Le visage du haut dignitaire s’empourpra.

– Vous êtes insultant monsieur, vous imaginez quoi ? Que le pape va vous montrer son cul ? En attendant mieux je vous présente le mien. Joignant le geste à la parole l’homme releva sa robe et pointa son postérieur vers le ciel. Ses fesses étaient piquetées de petits boutons rouges. Quand ce qui avait du un jour lointain mériter  le nom d’appareil génital, il était dans un état de délabrement avancé. Vlad d’abord sidéré, éclata de rire.

-Vous avez monsieur les fesses bourgeonnantes d’un jeune homme  mais que vient  faire ce vieux dindon décrépit au milieu ? Le cardinal un mauvais sourire  sur les lèvres se releva  aussitôt.

– Vous allez avoir très vite de mes nouvelles, cher monsieur. Une heure plus tard une armée de policiers faisait irruption à son domicile munie d’un mandat de perquisition et d’amener. Un flic le menotta avant de déclencher le massacre. Tous ses livres furent examinés déchirés, piétinés. A l’évidence les professionnels du mépris ne manquaient pas de savoir faire. Sous bonne escorte on l’emmena à la prison de la Santé. On lui enleva tous ses vêtements avant de l’enfermer.  Dans sa nouvelle résidence l’attendait là un comité d’accueil composé de dix monstres de plus de cent cinquante kilos. Ils allaient se ruer sur le nouveau venu, quand quatre gardiens firent irruption dans la cellule. Ils s’emparèrent de sa personne et le jetèrent dans une geôle seulement occupée par des puces et des rats. Il grelotta toute la nuit. Au petit matin on l’emmena se doucher avant de revêtir un uniforme mangé aux  mites. Ensuite, Il eut droit  à une tartine de pain rassis et à un bol d’eau chaude agrémenté d’un morceau de lard rance. Enfin on l’assit à une table où un homme en costume noir l’attendait. A son approche, il se leva et lui serra la main. Il était l’avocat commis d’office chargé de sa défense. Vlad Babel était accusé de tentative de viol sur la personne du cardinal. Deux témoins avaient accepté de déposer et confirmaient le chef  d’accusation. L’un d’eux qui avait eu dans son enfance affaire aux nazis, affirmait qu’il n’avait jamais de sa vie vu œuvrer pareille bête sauvage. Vlad, à cet instant, sut que la violence dont il parlait à longueur de ses livres, n’était pas une chimère. Bien entendu, ils avaient la possibilité  de diligenter une contre- enquête, dont les conclusions seraient produites à son procès, mais grâce à des artifices juridiques que la partie adverse maitrisait à merveille, le procès pouvait  être retardé, reporté autant de fois que nécessaire. Dans dix jours sous prétexte de veiller à paix de son âme, un prêtre lui rendrait visite. Il lui proposerait d’abjurer et de signer une confession témoignant de sa culpabilité. L’acte d’accusation serait déclaré nul et non avenu. Il serait alors relâché.

– C’est tout ?

– oui

Ce n’était pas tout. Vlad avait parfaitement compris ce que l’on attendait de lui. il fallait que tout le monde sache que  l’ex intellectuel marxiste était devenu un suppôt militant de la pensée intégriste. Curieusement il n’avait pas d’état âme. Il était en apparence vivant, mais aussi mort à l’intérieur que n’importe quel cadavre. Il était  donc prêt à abjurer et se faire le porte voix éclairé des rapaces les plus cyniques. Sa défection allait décourager tous ceux qui critiquant l’ordre établi, doutaient qu’un ordre moins injuste fut possible. Il en était parfaitement conscient mais il n’avait plus les moyens de se battre, plus les moyens de penser. Dont acte. Il n’allait pas en plus pleurer sur sa dépouille.

Les journaux du monde entier  firent leur une sur son changement de camp. Beaucoup saluèrent un acte de lucidité d’un courage peu commun. Très peu avouèrent qu’ils ne comprenaient pas pourquoi un homme d’une telle stature baissait les bras. Un journal anglais fut le seul à se demander si la réaction qui manquait de tout sauf de moyens n’avait pas trouvé là, un moyen insidieux de piéger un homme d’une grande probité intellectuelle. Sans doute des « éléments de langage » furent-ils distribués aux journalistes. La plupart célébrèrent très vite l’extraordinaire acuité intellectuelle du grand penseur chrétien qui défiant tous les tabous et les conservatismes s’attaquait « aux hérésies marxo- progressistes ».

Le nouveau pape avait visité Paris et d’autres capitales d’Europe. Parmi tous les  grands dignitaires de l’église  qui avaient été invités à accompagner figurait le conseiller occulte de son ancien rival. L’homme avait, ce que certains considèrent comme une qualité majeure, des oreilles qui trainaient partout. Il finit par recouper plusieurs rumeurs avançant que l’abjuration de Vlad Babel était le fruit d’un complot machiavélique. Il fit diligenter une enquête  qui confirma cette hypothèse.

Le pape lui, était revenu à Rome satisfait de son périple, mais souffrant de violentes insomnies. Son médecin était inquiet. Il appela en consultation un spécialiste du sommeil qui demanda à voir quotidiennement le pape pendant une semaine avant de lui administrer un traitement. Le pape accepta de voir le médecin 20 minutes à son réveil. Il s’aperçut très vite que raconter en quelques mots sa journée de la veille et anticiper sur son programme de la journée lui apportait beaucoup. Le sixième jour le spécialiste avertit le pape qu’il commencerait son traitement le lendemain soir dès que le souverain pontife aurait regagné sa couche. Il lui proposa alors de se soumettre à une séance d’hypnose d’une dizaine de minutes. L’effet fut radical le pape s’endormit avant même que la séance fut terminée et ne se réveilla pas avant le petit matin. Le traitement fut administré avec succès pendant une semaine. A son terme, le spécialiste du sommeil proposa d’espacer les séances. Dix jours plus tard il revint au chevet de son illustre patient. Hélas les insomnies étaient revenues, mais elles étaient moins nombreuses et moins intenses. Il fallait donc continuer. Après une séance d’hypnose plus courte que les précédentes le médecin demanda à son patient s’il avait des raisons particulières de se sentir nerveux. Le pape en avait plusieurs. La rude bataille qui avait précédé son élection était la principale. Il avait aussi sur le coeur le complot que les cardinaux favorables à sa candidature avaient ourdi, certes avec sa bénédiction, à l’encontre d’un jeune et très talentueux penseur d’extrême gauche. Le médecin très naïf posa de nombreuses questions et prit beaucoup de notes. A la fin de la séance il présenta son compte rendu au pontife à moitié endormi. – Vous êtes d’accord ? Le pape était d’accord et il le prouva en signant le document. Le lendemain matin il se souvenait seulement qu’il avait passé une excellente nuit.  Les journées qui suivirent furent calmes. La tempête ne se déclencha qu’au 8ème jour. La confession du pape s’étalait à la une de toute la presse internationale « Oui, pour sauver la foi j’étais prêt à me faire baiser l’anus par un gauchiste. La preuve que cet homme est bien un mécréant, c’est qu’il m’a obligé à inventer cette histoire. Nous autres chrétiens nous avons toujours eu un sens absolu du sacrifice »

Une majorité de cardinaux outrés ou faisant semblant de l’être, exigea la tenue d’un nouveau conclave. Trois mois plus tard cette assemblée votait la destitution d’un pape assez vulgaire pour avoir échoué dans sa tentative  de sodomisation du peuple des croyants. Le nouveau pape fut élu sous le nom d’Innocent 13. Accessoirement Un certain Vlad Babel eut droit aux excuses publiques du pontife. Aux journalistes du monde entier qui le pressaient de faire une déclaration fracassante il se contenta de répondre : – Il est hors de question que je devienne le pourfendeur des hérésies religieuses, qu’elles soient catholiques, juives, musulmanes, staliniennes ou capitalistes. Je vais seulement me donner les moyens de découvrir et faire découvrir une planète ignorée de tous. Je vais devenir femme.

François Bernheim

 

 

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