Cet Antonin- là n’est pas poète mais croque-mort, comme son père, comme son grand-père. Un homme qui croque le mort ou plutôt son gros orteil, histoire de vérifier qu’il n’est pas un tricheur, appartient forcément à la clique des zombies, des presque éteints… En bonne logique, celui qui fait ,à longueur de journée, la conversation aux chers disparus, est plus près de l’os que de la chair. Si la mort est le point de passage obligé de chaque existence, on peut, pour éviter de faire des histoires, se dire que plus tôt on l’aura installé dans la vie moins on souffrira, moins on aura de regrets. Antonin le croque -mort a- t – il consciemment ou non adopté cette stratégie minimale ? Peut- être. Mais l’homme n’est pas calculateur, il a une mission, il entend la mener à bien et ne se pose pas trop de questions. Les morts comme ceux qui les accompagnent et qui ne sont en rien préparés à vivre la non – vie, ont droit à des égards. Les préparatifs, les choix de matériaux, d’ambiance, de cérémonial ne doivent laisser aucune place à l’improvisation. Antonin n’est pas à proprement parler un ascète mais un travailleur compétent et scrupuleux. A priori rien ne devrait troubler le cours d’une vie aussi équilibrée. Sauf qu’un jour une jeune et jolie femme pénètre dans sa boutique, lui pose des questions, semble avide de conseils. Camille a un secret et Antonin sera le seul être à le partager. Camille, d’ici quelques mois va mourir. Elle a une petite fille, une maman qu’elle veut épargner jusqu’au moment où cela ne sera plus possible. Elle et Antonin, sans avoir besoin de longs discours se comprennent. Camille vient souvent à la boutique, Antonin la reçoit l’écoute et découvre qu’il peut être drôle, puisqu’il la fait rire. Ce croque- mort là, on ne rêve pas, va tout doucement avec la belle Camille, apprendre à croquer la vie. C’est ainsi qu’une issue dramatique va se muer en intensité existentielle. Rien n’est plus beau, plus émouvant que celle ou celui qui a l’audace de revendiquer sa fragilité. La mort et la vie sont un vieux couple. Il revient à chacun d’entre -nous de leur redonner jeunesse, gaité, le plus simplement possible. N’en déplaise aux trans -humanistes qui voudraient supprimer la mort, en éliminant tout facteur de risque, ils pourraient bien supprimer la vie. Ce croque- mort là croyait être un fonctionnaire de l’ultime, la rencontre de l’autre lui révèle qu’il est d’abord un poète.
François Bernheim
Julie Léal
Vivre tout simplement
éditions Anne Carrière