« Juger, c’est de toute évidence ne pas comprendre puisque, si l’on comprenait, on ne pourrait pas juger » André Malraux – Les conquérants …
Qui, ne traine pas derrière lui sa part d’ombre?
Ils sont nombreux à être enchainés à leur passé, devenu un véritable boulet de non -dits, de renoncements, voire de lâchetés. Certes les excuses ne manquent pas…. Si ma grand-mère, ma mère, mon père, ma tante apprenaient aujourd’hui la vérité, ils en mourraient., etc, etc
Hors l’histoire montre que ce que l’on a cherché à occulter, empoisonne à petit feu la vie de ceux qui tentent d’avancer sans se retourner. Et cette incapacité à affronter la difficulté, telle un virus contamine la génération d’après.
Javier Cercas est homme de gauche et un grand écrivain. Il appartient à une famille qui a vécu à Ibahernando , petit village d’Estrémadure. Dans sa grande majorité sa famille a été phalangiste et franquiste. Le héros de sa mère » Manuel Mena » est un garçon qui s’est engagé par idéalisme aux côtés des phalangistes a l’âge de 18 ans. Il trouvera la mort à 19 ans lors de la décisive bataille de l’Ebre.
Faut-il pour les survivants, La mère de l’auteur en particulier , perpétuer le mythe?
Faut-il le déboulonner ou tenter l’impensable, se mettre en quête de la vérité?
Non sans difficulté l’homme de gauche et l’écrivain sont d’accord, il faut dans une telle situation affronter les faits. La démarche n’est pas facile. Ainsi au cours de l’enquête qu’il va mener Javier Cercas constate que contrairement à ce qui est affirmé dans les documents officiels, Manuel Mena a trouvé la mort pendant la bataille de l’Ebre et non celle de Teruel. Où se trouve la réalité? La justesse de la cause républicaine implique-t-elle que tous les actions de ses partisans soient justes et défendables?
Certainement pas. Et ce n’est pas parce que les partisans de Franco étaient des fascistes que tous les républicains ont été des militants irréprochables.
Le Monarque des ombres est un livre qui donne sa place à l’autre. Manuel Mena sans doute comme beaucoup des garçons de son âge était un idéaliste, pas un salaud.
Dans le contexte actuel de débandade idéologique, le livre de Cercas devient un acte profondément optimiste. Puisqu’il n’y a plus de vérité révélée qui tienne, il revient à chacun de se mettre à penser, à inventer l’avenir. Donner sa place à l’autre ce n’est pas adopter ses idées , mais respecter à priori ses motivations et tenter de comprendre pourquoi, comment il a adopté telle position. A l’inverse d’un Manuel Valls, Cercas montre bien qu’expliquer ce n’est pas excuser. Et c’est bien cette recherche de vérité qui un jour ou l’autre, finira par rallier à elle des citoyens qui auront enfin admis que notre réalité est loin d’être binaire.
Dans ce savant édifice, structuré à partir de documents officiels, d’interviews et de réflexions personnelles, émerge la voix de l’écrivain. Le livre réussit à balayer la mythologie pour enfin offrir une sépulture digne de sa démarche à un adolescent perdu. Ainsi ceux de la génération d’avant pourront trouver la paix tandis que la génération d’après pourra poser les pieds hors du marécage des à peu près et des dénigrements systématiques. Nous qui n’arrêtons pas de nous plaindre face à nos dirigeants qui ne sont ni charismatiques et encore moins des héros, devrions au contraire exulter. L’ancien monde fabriquait des héros à la pelle. Jeunes, risquant leur vie pour couvrir nos lâchetés, ils ne faisaient que pallier notre démission. Les Achilles d’aujourd’hui défendent des causes indéfendables, ainsi le terrorisme. Nous, il nous revient la tache magnifique de tenter d’habiter notre quotidien. Ulysse compagnon intemporel de Cercas, n’est pas jeune, pas forcément admirable mais sa sagesse est celle de la paix. Voilà un formidable roman, qui déconstruit à merveille une réalité mythifiée. Donc un excellent livre politique.
François Bernheim
Le Monarque des ombres
de Javier Cercas
éditions Actes Sud