A Dakar dans le quartier de Thiaroye – Diagamene, trois adolescents et amis passent l’épreuve décisive du baccalauréat, L’un d’eux Issa l’apprenti styliste, accompagné de « Tibi » va visiter le marabout. Avant même de connaitre les résultats il se plaint auprès de l’officiant : son bic marabouté a bien fonctionné le premier jour, mais est tombé en panne le deuxième. A lire le deuxième roman d’Hadrien Bels » Tibi la blanche » on réalise très vite que sa plume inspirée par les fées, les sorciers et magiciennes d’Afrique et d’ailleurs a réussi à capter, « ce je ne sais quoi » de mystérieux, drôle et envoûtant qui fait danser l’existence, même quand cette dernière est tentée de vous faire la gueule. la force du verbe » dit le marabout.
Ce charme inouï appartient -il à Hadrien à Bels, à l’homme habitant Marseille, ville qui ne cesse de voyager dans la culture des autres ou plutôt au jeune homme de 18 ans marié à Dakar, naviguant entre les deux villes, à l’écoute du rap d’ici et du Mbalax de là -bas. Tibilé, dite « Tibi », « Tibi toubab », « Tibi la blanche » est noire mais son prochain départ pour la France, à condition qu’elle ait son bac avec mention, pourrait en faire une blanche. « Tibi « est la fille d’Aïcha » une plume blanche » c’est à dire de celles que l’on remarque. Elle connait bien « la France qui fait perdre le sourire et la couleur aux pagnes ». Baba son père a fait de brillantes études à Paris il en garde un souvenir ému. Neurone, un cerveau hors pair et antisystème, est le fils du plus important garagiste du pays, il est amoureux fou de « Tibi » mais une Solinkée n’épousera jamais un Diola. Neurone s’il n’a que la mention bien n’ira pas faire ses études en France, il deviendra Monsieur Rigobert Coly notable garagiste. Issa, artiste est celui qui a le plus voyagé dans sa tête, il est Peul. D’un roman à l’autre le romancier est à l’écoute de ces êtres fragiles et sensibles. Il les saisit à un moment où la vie va sans doute basculer. Adolescents tendres et ouverts, vont -ils devenir des adultes normés incapables de voyager ? Est-il possible de saisir la vie dans l’énergie de son mouvement sans l’arrêter ?
L’écriture de « Tibi la blanche » apporte une réponse proche de l’ivresse, celle qui fait kiffer Hadrien Bels(2) Ses héros naviguent dans un univers où tout ce qui est ailleurs chosifié, devient ici être vivant :
» Au loin l’océan remue son ventre…. Un même quartier peut être sucré au nord et bien trop salé au sud…. Dehors le soleil a perdu sa virilité…la nuit retient ses larmes… le lycée a la peau qui pèle… Un salamalekoum de réfrigérateur…,etc ,etc Ici à Dakar les sms pourraient presque être des pigeons voyageurs. Cette écriture est ouverte à toute possibilité de rencontre, elle est d’une liberté voguant au gré du désir de ré- enchanter le monde, autant pour rire, danser que pour aimer. Cette écriture dit également que nous sommes plusieurs personnages à l’intérieur d’une même peau. Certains peuvent être empêchés à la limite de la folie comme le cousin Jacob, extra lucide, enfermé dans un hôpital psychiatrique, lui aussi est amoureux de « Tibi » qui le visite régulièrement et lui apporte du Thiep(3), d’autres sont nostalgiques du passé, d’autres encore naviguent entre une joie insolente et le désespoir.
Si la France est à certains moments vue comme un Eldorado, elle est aussi la puissante néocoloniale qui laisse crever ses pauvres sous les ponts après avoir dévasté ses colonies. La France est aussi l’incarnation de l’horreur quand en 1944 elle fait fusiller des tirailleurs sénégalais seulement coupables d’avoir réclamé avec insistance le paiement des salaires qui leur étaient dus. Selon qui raconte l’histoire 35 soldats, 70, 200 ou beaucoup plus ont été abattus.
Hadrien Bels est à l’écoute des vibrations du monde, dans son univers la joie et la lucidité comme parfois la nostalgie ont partie liée. Selon lui, parler des autres serait un bon moyen d’éviter de parler de soi (2). Pas si sûr. Sans vouloir une seule seconde jouer à l’intellectuel de service, il pose subrepticement bon nombre de questions. Qui est en exil ? uniquement celui qui est chassé de son pays, ou aussi celui qui survit hors de sa vie rêvée ? Qu’est-ce qu’un fou ? un être radical, dont la société a si peur qu’elle l’enferme à double tour ou un malade irrécupérable. Le voyage mental et physique est sans doute un bon remède à toute forme d’empêchement. Mieux, l’écriture et l’énergie diaboliquement tendre que véhicule « Tibi la blanche » nous font entrer dans un royaume où la grâce spontanée de ceux qui le peuplent nous réjouit du gros orteil à la racine des cheveux. Puissent les magiciens qui œuvrent avec talent à notre bonheur recueillir notre gratitude, comme les fruits de notre émerveillement.
François Bernheim
(1) extrait du poème d’Arthur Rimbaud » On n’est pas sérieux quand on a 17 ans »
(2) entretien du 29 août 2022 avec Marie Richeux sur France Culture
(3) Le Thiep est un plat réputé de la cuisine sénégalaise à base de riz, de sauce tomate et de légumes (chou, carottes, manioc, etc.) et de « thiof ou mérou.