Quand on vient de là- bas, on n’a pas droit à l’intelligence, au savoir…
Anissa est fille d’un couple d’algériens émigré à Paris. A 30 ans, elle reprend des études et se fait jeter à la figure, sa thèse sur les Chibani. Son vieux professeur n’apprécie guère tous ces beurs qui veulent aller trop vite.
Quand on vient de là -bas, d’Algérie par exemple, on a seulement le droit de bricoler, de faire dans le dérisoire, l’inabouti. Parce que là bas, on nait tout nu et on le reste toute sa vie. Aucun vêtement culturel, idéologique n’est à votre disposition pour vous protéger, vous donner l’air, d’avoir l’air d’être quelqu’un. Entre votre pays et la France coloniale il n’y a pas seulement beaucoup d’eau, mais également un océan de confusion, de doutes, d’intranquillité. Anissa ne connait pas sa famille algérienne, un mystère entoure le départ de son père et l’absence de relation avec sa famille. On murmure qu’il aurait pu être un harki.
Le premier roman de Sabrina Kassa est celui d’un voyage initiatique, une aventure où le mouvement des corps est en osmose avec une prise de conscience de l’inanité des faux semblants. La découverte de la famille d’Anissa fait émerger celle du petit peuple d’Alger. Anissa découvre que le regard des siens sur les beurs est d’une cruauté bien plus cinglante que celui des pires racistes d’ici.
Elle ne parle pas arabe, elle n’est donc pas des leurs, mais pourtant à travers l’affrontement elle se rapproche de ses cousines. Son cousin Chems B23 n’est pas n’importe qui, il est le fils d’un violeur. Pire il est noir et pire du pire il est le sosie de Barack Obama. Une proie toute désignée pour une bande d’arnaqueurs américains qui ne cesse de lui monter des bateaux. Samira, la soeur de Chems rêvait d’un amour impossible, lui Chems part au bled, faire la conversation avec les chèvres et sans doute avec sa vie. Ils sont tous bousculés, perdus, mais au final, l’affection qu’ils ont les uns pour les autres, la force et la beauté de leur terre les rend à eux même. Le petit peuple n’est petit que pour ceux qui avalent beaucoup d’air, ceux qui ont besoin de mépriser pour exister.
Anissa apprendra à redresser la tête. Son père pourrait bien avoir été coupable d’avoir fait acte de solidarité humaine sans se préoccuper d’apparences qui le désignaient comme traitre. La honte est une discipline que l’on enseigne aux enfants pour faire l’économie de prisons en béton armé. Le regard de Sabrina Kassa sur ses personnages est tendresse,humour également, parce que frôler l’abime ne donne à personne le droit de se prendre au sérieux. Ce qui est important ce n’est pas la destination assignée au voyage, mais le chemin que l’on prend. L’auteure en exergue de son livre écrit : » Pour se délivrer du passé il faut arrêter d’en avoir honte ». Ainsi, on de donne la possibilité de comprendre que le présent est moins que simple, que la vie à plusieurs engendre ses propres drames. Si le colonisateur a bien de lourdes responsabilités, il n’en reste pas moins que nous avons aussi la nôtre, celle d’explorer nos limites. Face à nos contingences nous dessinons notre propre liberté. Ici elle baigne dans la lumière d’une terre aussi dure que nourricière. Quand on vient de là- bas on a simplement l’obligation d’inventer la vie qui sera la nôtre. Magic Bab el -Oued … Tout bien pesé, chacun est porteur de son propre oasis et pas seulement de son enfer. Histoire de pouvoir inviter quelques complices bien choisis à partager ce qui est bon.
Soleil.
François Bernheim
Magic Bab el-Oued
de Sabrina Kassa
Editions Emmanuelle Colas