Le chapitre 6 du livre d’Antoine Silber « Tout cet hier à l’intérieur de moi » s’ouvre sur une citation d’Heinrich Heine » le judaïsme n’est pas une religion, c’est un malheur »
On pourrait donc croire que, devoir de mémoire oblige, le récit initié par l’auteur a pour vocation d’offrir une sépulture à tous les membre de sa famille qui en ont été privés. La démarche d’Antoine Silber est autre. Il est amoureux de Laurence, la femme qui partage sa vie et qui l’accompagne dans son entreprise de retour aux sources à Cracovie ou plus exactement à Kazimierz, berceau de sa famille. Et c’est sans doute l’avenir de cet amour qu’il entend faire grandir en acceptant de se pencher sur tout cet hier qui pourrait bien l’étouffer.
Historiquement le malheur juif est certain. Pourtant l’ouverture au monde de ceux qui ont été chassés de partout, s’accompagne, oh scandale, d’une aptitude à la jouissance exacerbée. Est-ce la conscience de la fragilité de toutes choses qui la stimule ? Est-ce la capacité à vivre chaque instant comme un moment unique? Est-ce le goût immodéré pour questionner le monde qui agite tout juif, croyant ou non croyant ? Impossible de répondre de façon péremptoire. Mais il semble bien que cet amour partagé, face au malheur, permette d’affirmer en toute simplicité, une nécessité de vie, au sens de l’harmonie, du plaisir et de l’éthique. La vraie question pourrait être la suivante : A quoi sert une vie quand elle n’est plus vivante?
Le passé est une chape de plomb qui interdit tout mouvement, quand il on le laisse en friche. Quand on ferme les yeux non seulement sur les pogroms, les assassinats de masse, mais aussi sur la terrible volonté des nazis de vouloir effacer toute trace de vie. Quand les pierres des tombes servent à construire des prisons, on est en droit de penser que les bourreaux ont fait pire que supprimer des êtres humains, ils ont voulu effacer jusqu’à toute trace de leur naissance. Impossible d’assassiner qui n’a pas existé. C’est ainsi que ceux qui ont survécu et leurs descendants peuvent devenir fous.
La démarche d’Antoine Silber nous le prouve, le passé n’est en rien une fatalité. Plutôt que de s’en détourner il faut le prendre à bras le corps, dans l’individualité de chaque vie, de chaque parcours de chaque visage, de chaque exil. Celui de Samuel qualifié d’escroc parce qu’il avait trop bien réussi et qu’encore une fois il fallait trouver un bouc émissaire face à la déroute monétaire du pays, Celui du grand père Ernest diamantaire anversois grimpé au sommet avant de finir ruiné, celui de Roger peintre d’immense talent ,ami de Giono et de René Char. Sans oublier Helena concoctant dans sa cuisine une crème de beauté que le monde entier s’arrachera sous la marque H R. Helena Rubinstein.
Malheur/ bonheur, sens des affaires/ quête de sens, création. Les polarités de l’âme juive sont celles de l’humain, souvent portées à un degré incandescent.
Qui prend le risque de tomber prend aussi celui de découvrir les richesses de la vie. Ainsi Rabbi Naaman de Bratslav qui écrit: » Ne demande jamais ton chemin à celui qui le connait.
Tu risquerais de ne pas t’égarer. »
Faut-il être angoissé, tourmenté pour écrire un tel livre? Peut être, mais avec une telle douceur, une telle tendresse que l’on peut être sûr que l’auteur, dans sa chair comme dans son esprit, est un ami de notre humanité. Quoi qu’il arrive.
François Bernheim
» Tout cet hier à l’intérieur de moi «
Antoine Silber
Editions Arléa
Une réflexion au sujet de « La vie plutôt vivante que morte »