Quand la mémoire devient devoir
Je suis comme un lycéen qui, le dimanche,
Sèche devant sa page blanche
Maudite est la dissertation
Le sujet ? « Com’ , mémos, rations »
Et puis voilà que les idées lui viennent
Et qu’il se met à lister toutes ces mémoires en concurrence
Certaines pesant plus lourd sur la balance
Mais jusqu’où remonter le temps
De la comptabilité des massacres et des traites négrières ?
Celles d’avant les Amériques
Quand les Chefs Maures asservissaient
Le bois d’ébène sans vergogne
Faut-il aussi blâmer les Romains
D’avoir si bien acclimaté leurs vins
Sous nos climats
Que l’alcool est devenu, en France, la cause première des accidents mortels ?
Et pourquoi pas accuser Romulus
D’avoir violé Margot la gironde
La belle Gauloise aux tresses blondes
Ravie pourtant d’avoir enfin
Un beau bébé tout brun
Quand la mémoire devient devoir
J’ai le cafard face aux armoires
Et si le devoir de mémoire c’est dire « plus jamais ça »
Alors que faire des massacres quotidiens
Dont nous sommes les témoins ?
Que faire de ce devoir qui se transforme en pensum ?
Que l’on nous rebat comme plâtre
Sous-prétexte qu’il nous vaccinerait
A jamais
Contre le fiel des idolâtres
J’avoue mon impuissance. Je ne sais pas
Alors je me prends à rêver d’une mélodie
Bleue comme une agate qui roule dans la ruelle
Belle comme l’insouciance des enfants en juillet
Bleue comme la peur de la première fois
Qu’on se lève pour protester
Qu’il faudra bien nous libérer
Du poids de la culpabilité
De n’avoir rien fait d’autre de nos vies
Que de chanter comme un oiseau sur la branche du peuplier…
A propos pourquoi ne parle t-on jamais du devoir d’oubli ?
D’autant que quand la mémoire est saturée le cerveau fait le tri
Et transfère les données sauvegardées sur un nuage de poésie.
MICHEL DREANO