«…. Une fois, il avait barbouillé les murs de sa chambre de matières fécales, en les lançant autour de lui. Tout le monde le croyait fou, mais c’était mal le juger. Personne dans sa famille ne s’était dit que le fait de jeter des excréments pouvait être une réaction tout à fait rationnelle aux évènements du XX siècle.
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Est-ce vraiment si grave de croire encore un peu à quelque chose de beau ? »
Six millions de juifs ont été assassinés par les nazis lors de la dernière guerre mondiale. A ceux là qui ne reposeront jamais en paix, il faut ajouter tous les morts vivants « Les survivants » seulement capables de faire la conversation avec les disparus..
Est-ce à dire que le monde serait à jamais condamné à vivre et revivre cette tragédie
C’est sans doute pour prendre le contrepied d’une telle assertion qu’Emanuel Bergmann, juif allemand né en 1972 et vivant aux Etats Unis a pris la plume. « Max et la grande illusion », son premier roman traite d’un sujet beaucoup trop grave pour que son écriture ne se nourrisse que de larmes et de sang. Ici, on a l ‘audace, voire l’insolence de rire, parfois de sourire, souvent de s’émerveiller du seul fait d’être en vie.
L’action se déroule en parallèle à Prague, au début du siècle, et à Los Angeles dans les années 2000.
Moshe fils d’un rabbin plus versé dans la Torah que dans les choses de la vie est en réalité l’enfant de Moshe le serrurier, qui a su trouvé la clé du cœur de la belle Rifka, en l’absence de son mari parti à la guerre. C’est au « Cirque magique » que l’adolescent découvrira tous les trucs, illusions susceptibles de faire rêver enfants et adultes. C’est ainsi que Moshe deviendra le grand Zabbatini, sublime magicien et amoureux comblé. Son succès deviendra si grand que tous, Hitler y compris voudront bénéficier de ses conseils. Mais les maitres du monde se lassant de tout, les nazis n’hésiteront pas à l’envoyer en camp de concentration. Là en acceptant de cacher une petite fille dans sa valise à double fond il réussira à la sauver. Démontrant par là que l’opposition entre le faux et le vrai n’a pas forcément de raison d’être.
Quelques 60 ans plus tard à Los Angeles, un enfant, Max Cohn découvre avec horreur que ses parents veulent divorcer. Par hasard dans les affaires de son père il trouve un vieux disque de promotion du grand Zabbatini. Le magicien affirme détenir la formule du « sortilège de l’amour éternel ». Max est subjugué. Il part à la recherche du grand Sabbatini. Lui seul est capable de sauver le couple de ses parents. Réussira-t-il à le trouver ?
Oui, mais le vieux magicien est au bout du rouleau, sans doute incapable de mobiliser une dernière fois ses trucs au profit du couple. Au lecteur tétanisé de découvrir s’il va ou non réussir. Contrairement à ce que nous assènent à longueur d’existence les esprits chagrins, le pire n’est jamais certain, d’autant que la magie, qui comme chacun le sait n’existe pas, est capable, si nous le voulons bien, de ré-enchanter le monde.
Mais les préjugés ont la vie dure. Combien d’enfants, combien d’adultes sont-ils en permanence accusés de fuir le réel ?
…Pauvre vieux, tu te fais des illusions. Bref tu rêves tout éveillé… tu es donc à côté de la plaque… dans ta bulle. Non et bien non. La réalité n’est jamais aussi réelle que lorsqu’elle parvient à mobiliser notre imaginaire. La puissance du rêve nourrit le réel, elle mobilise les énergies. Moshe, alias le grand Zabbatini est un truqueur qui fait avancer le monde, qui l’aide à sortir de la tragédie. Certes les tours de magie ne marchent pas à tous les coups, mais qui ne prend pas le risque d’échouer, ne se donne pas non plus les moyens de s’envoler.
L’amour, la tendresse, la solidarité sont les anges gardiens d’un roman qui refuse que l’obscurité et le fatalisme soient notre lot quotidien. A travers le conte enchanteur qu’il met en scène sont également posées des questions essentielles.
D’ou nous vient ce besoin irrépressible de croire en quelque chose ? Dieu, Hitler, le parti, mon psychanalyste, les médias, mon gourou intellectuel, la publicité ?
Il semble bien qu’aux yeux d’Emanuel Bergmann toutes ces prises de paroles ne cessent de se livrer une concurrence effrénée à notre détriment.
Face à cela la magie, dans sa grande modestie ne cesse d’avouer ses artifices faisant seulement confiance aux pulsations de notre cœur.
Escrocs, falsificateurs, truqueurs, naïfs occasionnels, poètes, artistes nous sommes en fait les maîtres du monde aussi puissants que fragiles, sauf qu’à chaque instant les étouffeurs de vie font tout pour nous le cacher. La conscience de l’ambivalence humaine est un bien précieux. La magie et ses trucages revendiqués sont loin de l’obsession de pureté qui obsède toutes les dictatures de la planète. Face à la tragédie, osons rêver, osons construire des vies bancales, des vies quelque peu bricolées, mais jamais soumises à une fatalité construite de toutes pièces. Nous sommes bâtards, lubriques, fanfarons, truculents, encore et toujours capables de danser au dessus de l’abîme.
François Bernheim
Emanuel Bergmann
Max et la grande illusion
Editions Belfond
Avec Emanuel Bergmann
j’ai eu la chance à Paris de pouvoir croiser Emmanuel Bergmann. L’homme est aussi sympathique, intelligent que sa femme Lily est jolie et spirituelle. Celui dont toute la famille, à l’exception de sa grand mère a été assassinée par les nazis est l’homme le plus drôle du monde. Certains diraient qu’il est de sa responsabilité de rire pour ne pas pleurer, mais ils pourraient bien se tromper.
Si Emmanuel Bergmann a écrit sur « Max et la grande illusion » ce n’est pas pour redire ce que d’autres ont déjà écrit sur la Shoah, mais pour tenter de desserrer l’étau qui fait de tout survivant un être plus proche de la mort que de la vie. Certes avec la disparition de 6 millions de juifs c’est toute une culture, un art de vivre qui ont disparu à jamais. Tous les colloques du monde, certes utiles, ne pourront jamais compenser cette perte.
Comme tous les écrivains, Emmanuel Bergmann est un menteur assumé.
Celui qui invente une fiction dit au lecteur : je vais te mentir et le lecteur lui répond : je vais faire semblant de te croire.
Prague avec le golem et le rabbi L.oew est une ville clé de mystique juive. Pourquoi le grands esprits de la Kabbale dénoncent-ils l’imposture de la magie ?
Tout simplement parce que les magiciens sont des concurrents. Il est donc essentiel pour eux de les éliminer.
Jésus capable de faire apparaître mille poissons alors qu’il n’en possède qu’un seul ,est-il le fils de Dieu ou un simple magicien, c’est à dire un truqueur ?
Il n’y aurait bien sûr que les mauvais esprits pour penser que l’on peut être le fils de Dieu et aussi …un truqueur !
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