Peut- on danser le tango avec un chêne ?
Question sans doute absurde, car personne n’a jamais vu un chêne ou même un autre arbre, hanter les salles de danse de Buenos Aires ou d’ailleurs. Mais l’auteure « d’un chêne » Belinda Cannone, étant un être (hêtre ?) toujours en mouvement on pourrait penser que rien ne lui est interdit. Depuis la fenêtre de sa maison du Cotentin elle a, avec son téléphone portable, régulièrement photographié l’arbre qui se dressait dans le champ d’en face.
A priori on peut admettre que sa maison, comme le chêne et la photo prise restaient fixes ou statiques. Cependant la romancière ou à l’essayiste qui n’en est pas moins poète devait-elle prendre racine à un endroit déterminé pour initier un voyage ? Ici c’est peut être le doigt qui déclenche, mais c’est la photo qui ouvre la porte au récit. L’image occupe une plus ou moins grande surface sur la page, elle attend quelque chose, quelqu’un, peut être tous simplement des mots qui autoriseront un vagabondage insensé. Il y a là une façon d’effleurer le mystère de l’imaginaire qui a l’élégance et la fraîcheur d’une ballade enfantine dans les vertes prairies du charme et de l’innocence préservée.
Ce rendez vous régulier en forme de conversation avec un ou son chêne ne cesse de nous interroger. L’arbre ne se dérobe jamais, il n’est jamais en retard et autorise des parcours aléatoires. Est-ce plus facile de vivre avec un arbre, qu’avec un autre être humain ? Peut-on vivre avec un chêne et également entretenir des relations amoureuses avec d’autres animaux et personnes ?
Le choix apparemment arbitraire de l’arbre ne nous révèle –t-il pas qu’entre nous et la nature, il y a la forêt de nos préjugés qui nous force à nous séparer du monde, à classer, découper le réel en catégories obsolètes ?
Le mariage pour tous est certes un grand pas en avant mais à quand les épousailles avec tes feuilles, tes racines, tes branches ?
A vrai dire, Belinda Cannone a assez de talent et de malice pour faire semblant de nous faire croire que le rendez vous poétique qu’elle nous propose obéit aux règles de la plus élémentaire simplicité.
Voilà un petit livre qui ressemble étrangement à ce que l’on pourrait appeler un pur plaisir.
François Bernheim
Un chêne
de Belinda Cannone
Editions Le Vistemboir
Extrait :
Le geste
Chaque matin, de la fenêtre de mon bureau je regarde mon chêne, seul hôte du grand champ qui s’étend devant la maison, de l’autre côté de la route, et qui est désigné au cadastre sous le nom de Paradis.
Durant le jour, quand le ciel versicolore est en fête, ou quand l’eau perle sur la vitre, qu’une ombre s’étire, que des traînées de brume flottent ou qu’un animal passe, je prends une photo à travers le carreau.