Qu’est-ce qu’un bon livre ?

Au secours, comment peut-on encore poser une telle question ?

Pour un lecteur de Delly ou de Max du Veuzit (1) Proust ou Duras ne sont pas forcément des auteurs recommandables. Certes, mais au delà du phénomène de préférence clanique, on admettra qu’un auteur mu par une forme de nécessité intérieure et capable de prendre le risque d’inventer, donc de se fracasser, frôle de plus près la littérature qu’un monsieur ou une dame qui se contente d’exploiter les recettes sommaires du marketing éditorial. Jetons nous tout de suite à l’eau : Claude Sylvie Ulrik avec « La rampe rouge Rondes vient d’écrire un bon livre.

Qu’est-ce qu’un bon livre ?

Je crois savoir, pour en avoir fait l’expérience, qu’un bon livre c’est aussi un ouvrage co-écrit par un bon lecteur. Et c’est là où paradoxalement commence la difficulté. Au delà du bagage culturel de chacun, notre aptitude à appréhender la beauté, la force d’un texte sont variables. Il existe une météo des émotions, de la fatigue, des angoisses qui réduit ou augmente notre ouverture à l’œuvre de façon aléatoire. Sans doute les amateurs de musique, les rêveurs capables de se laisser porter par les humeurs de l’océan, entreront –ils plus facilement que d’autres dans la Rampe rouge Rondes.

Un homme, Etienne, meurt. Astrid sa mère avait confié à un carnet rouge les éléments brûlants de sa vie. Etienne savait qu’il fallait raconter mais n’en a pas eu la possibilité .Sa femme comprend alors que c’est à elle de prendre la parole. Elle lit, écrit, découvre petit à petit les abimes dans lesquels a plongé la mère d’Etienne, Astrid et la mère de celle-ci, Sarah W, rescapée des camps mais aussi anéantie par un traumatisme d’enfance. L’histoire racontée n’est pas seulement celle du malheur à répétition, l’histoire de la cruauté humaine. Le secret n’a rien d’abstrait, mais ce que dit l’écriture de Claude Sylvie Ulrik, c’est d’abord l’éclatement de nos vies. Des morceaux d’humanité en rencontrent d’autres, comme ils frôlent l’eau, la pierre, les arbres et leurs racines. la vie est séparation mais aussi fusion, confusion, lumières, brouillard. Il faut à la fois vouloir avancer et aussi se laisser aller. Raconter les petites gens, ce n’est pas faire du social, c’est préserver notre capacité à prendre en compte toutes les facettes de la réalité. C’est ouvrir la porte à la poésie.

Une histoire aussi forte est d’abord un rythme, celui d’une recherche panique, d’une ouverture aux mystères t des existences entremêlées. Alors avec quel bagage voyage un individu ?

On ne le sait pas très bien, mais l’important est sans doute de ne pas laisser le passé mourir sans l’avoir revisité dans sa multiplicité. Quand, grâce à deux témoins, la narratrice réussit à assembler les éléments du puzzle, la symphonie devient plus paisible, plus linéaire. Claude Sylvie Ulrik a réussi à écrire un précis de décomposition et recomposition humaine. Elle a créé un espace de vie d’autant plus intense que les morts et les survivants parviennent à entretenir le dialogue, en prenant le risque de plonger dans la folie. Le pire étant de vivre une vie sans vie, sans douleur, sans histoire, sans sel, poivre et autres condiments.

François Bernheim

 

Claude Sylvie Ulrik

La Rampe rouge Rondes

Editions Unicité

 

( 1) Ces deux auteurs ne sont plus très lus. Mettre en avant des fabricants de livre plus actuels n’aurait posé aucune difficulté, sauf que l’opposition entre les bons auteurs d’aujourd’hui et les autres n’est pas forcément vierge de toute arrogance élitiste. A contrario citer des auteurs passés de mode ne soulèvera pas de polémique.

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