Deux enfants. L’une est blanche : Suzanne Mallouk, l’autre est noir : Jean-Michel Basquiat né le 22 Décembre 1960 à Brooklyn d’une mère portoricaine et d’un père haïtien. Il meurt le 12 Août 1988 à Soho. Suzanne devient « la veuve Basquiat ».
Jennifer Clement, amie de Suzanne racontera leur histoire d’amour. Leur abîme. Cet homme pour qui le sexe était autant un outil de plaisir que d’exploration, multipliait les partenaires hommes ou femmes sans pour autant être infidèle à celle qui fut sa sœur, son amie, son amante, celle qui l’accompagna sur le chemin de la création, comme dans une vie étranglée par le racisme. Basquiat devient dans le monde des blancs un grand artiste, avant tout parce qu’il est un enfant paniqué par la méchanceté et la cruauté d’un monde archaïque. Dans cette société là, Basquiat est d’abord un chamane, un sorcier, sourcier, inventant un cérémonial de conjuration quasi cabalistique pour faire face au danger.
L’art, plus qu’une esthétique devient un rituel magique, capable de dénouer le fil de l’angoisse et de la douleur là où elles étouffent. Toutes les drogues possibles jalonnent cette quête insensée où la lumière joue avec la folie, le désespoir et parfois la joie. Suzanne serveuse dans des cafés plus ou moins branchés, est aussi une artiste, elle chante, peint mais son œuvre la plus forte est invisible. Elle est celle qui abandonne tout pour Jean-Michel, qui le lave des malheurs et de la saleté, mais aussi celle qui ne plongera jamais dans la destruction de soi. Jean-Michel est aussi l’œuvre de Suzanne, une femme dénuée de toute complaisance, de toute vanité. Elle est son protecteur sa muse, son ancrage, même si la force des tempêtes subies est telle que la mort devient un cap irréversible.
A ceux qui peuvent penser que Basquiat était paranoïaque, l’assassinat sadique et méthodique d’un jeune noir ami de Suzanne, torturé par une bande de flics sauvages et impunis, viendra rappeler que la férocité humaine est bien une réalité. Le chemin de Basquiat est peuplé de célébrités, Andy Warhol, Madonna, Julian Schnabel, Keith Haring, Francesco Clémente, etc … comme si celui qui avouait ne pas savoir dessiner avait toujours eu besoin de référents pour ne pas sombrer. Jean-Michel Basquiat, au plus haut de l’art contemporain, révéle non sans ironie, le vide de ce monde , aussi savant et gorgé de sa superbe que vide et décoratif. Il aimait les gens intelligents et encore plus ceux capables de porter une douleur. Il a gagné beaucoup d’argent, en a jeté beaucoup par la fenêtre et investi encore plus dans sa destruction. Autant que son immense talent et son effroi c’est la pureté de sa démarche qui subjugue. Jacques Prévert qui n’a connu ni Jean Michel, ni Suzanne, parlait bien d’eux quand il écrivait :
« Les enfants qui s’aiment s’embrassent debout
contre les portes de la nuit
et les passants qui passent les désignent du doigt.
Mais les enfants qui s’aiment
ne sont là pour personne
et c’est seulement leur ombre
qui tremble dans la nuit
excitant la rage des passants
leur rage leur mépris leurs rires et leur envie »
La nuit ne sera jamais assez noire pour engloutir la lumière de Michel Basquiat. Tendresse infinie et respect pour un explorateur des gouffres les plus profonds.
François Bernheim
Jennifer Clement
La veuve Basquiat
Editions Christian Bourgois