Dans la nuit du 27 au 28 Octobre 1977, l’avocat Maurice Agnelet,
assassine sa maitresse Agnès Le Roux. Il est président de la ligue des
droits de l’homme de la région Paca, franc-maçon comme son ami
mafieux Jean- Dominique Fratoni patron du Ruhl, concurrent n°1 du
Palais de la Méditerranée, casino dirigé par la mère d’Agnès Le Roux.
Quelques mois auparavant Agnès sur les conseils de Maurice a revendu
ses parts du casino à Jean-Dominique Fratoni. Renée le Roux sera mise
en minorité et l’argent placé sur un compte en Suisse. Grâce au faux
témoignage de sa deuxième maitresse, également très riche, Maurice
n’est pas inquiété. Après plusieurs procès où il est acquitté, il est
condamné en 2007 à 20 ans de réclusion. En 2009 La Cour européenne
des droits de l’homme juge le procès inéquitable. Nouveau procès en
Assises en Avril 2014. Pas plus le corps de la victime Agnès le Roux,
que son véhicule n’ont été retrouvés, mais le témoignage accusateur de
son deuxième fils Guillaume emporte la décision. Maurice Agnelet a 76
ans, 37 ans après son crime il sera définitivement condamné à 20 ans
de réclusion criminelle.
Quand s’ouvre le livre de Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire
au journal le Monde, nous savons pratiquement tout de l’affaire Agnelet.
Alors d’où vient la frénésie avec laquelle nous avons dévoré son
ouvrage, « La déposition » ? Les thrillers, les romans à suspense sont à
l’évidence ceux dont on ne connaît pas l’issue. L’effroi vertigineux qui
nous saisit vient d’ailleurs. A travers le regard de noyé de Guillaume,
Pascale Robert-Diard saisit le désespoir absolu d’un homme condamné
à devenir un étranger soit pour ses proches, soit pour lui-même. A la
veille du dernier procès il est le seul membre de la famille à se souvenir
des confidences criminelles de Maurice Agenelet.
Après le verdict, Pascale Robert-Diard écrit une longue lettre à
Guillaume, il lui répond. Ils se voient, se revoient plusieurs fois. Elle veut
comprendre. Les deux cent trente six pages qu’elle a écrit apportent la
preuve qu’elle a été beaucoup plus loin. Voilà un livre qui nous donne le
frisson tant il navigue dans les eaux troubles de la corruption de l’âme,
non par complaisance, mais plutôt avec la ferme volonté de rétablir dans
son humanité celui par qui le scandale est arrivé. Sidérés nous
découvrons que le vertige n’a pas qu’une seule pente.
Maurice Agnelet est un monstre froid, cupide, calculateur, avide de
respectabilité et surtout assez manipulateur pour séduire femmes et
hommes selon l’inspiration du moment. Pour lui -et il s’en vante auprès
de ses enfants- le bien et le mal n’existent pas. «Pas vu pas pris », telle
est sa loi. A plusieurs reprises soliloquant devant ses fils, il a avoué son
crime. «De toutes façons tant qu’ils ne retrouvent pas son corps je suis
tranquille». Pire il dit en regardant Guillaume, « le corps je sais où il est».
A Anne sa femme, il a raconté son crime par le menu. Elle n’a manqué
de répéter à Guillaume, les propos éhontés «du diable».
Jour après jour, pendant plus de trente ans, le poison d’un tel aveu
envahit chaque membre de la famille. Jérôme, le fils ainé de Maurice, il
est homosexuel et couche à l’occasion avec un ex amant de son père.
Avant de mourir atteint du Sida il écrira une carte postale à ses parents
les traitant d’assassins. Guillaume le fils du milieu, le fils flottant devient
ainsi l’ainé. Il admire et aime son père et choisira de vivre avec lui quand
ses parents se sépareront. Non seulement il soutient son père, mieux il
lui sert de coach avant les procès. Alors comment expliquer son
revirement ?
On sait qu’en province la bonne réputation des familles est garante du
maintien de l’ordre social. Il est donc préférable de garder le secret sur
les turpitudes des uns et des autres plutôt que de faire oeuvre de justice.
Et pourtant il ne s’agit pas de cela. Le père nie avoir prononcé la phrase
fatidique «de toutes façons tant qu’ils ne retrouvent pas son corps, je
suis tranquille». Thomas nie l’avoir entendu, leur mère n’a jamais dit un
mot de l’affaire à Guillaume, ou si elle a dit quoi quelquechose, cela ne
vaut pas preuve. Guillaume ne veut pas rompre le secret, mais le
partager avec sa famille. Il essuie refus sur refus. Seul contre tous, sa
réalité devient irréelle. Pire, il se sent menacé par un père que rien
n’arrête. Et puis il y aura les conversations avec Agnès enregistrées par
son père. Par ses réponses cyniques Maurice floue une femme assez
désespérée pour faire deux tentatives de suicide. Rejeté par la famille,
Guillaume devient le seul dépositaire du crime. Qui est le coupable celui
qui dénonce le crime, qui rompt la loi du silence où celui qui le commet ?
A l’évidence aux yeux de soi même comme du public celui qui dit le
crime se place hors de la société. Maurice Agnelet n’a pas seulement
assassiné Agnès Le Roux, il a tué sa famille. «La déposition» met ainsi
en place un double récit : le premier est celui de la lente décomposition
d’une famille, de sa descente aux enfers, le second par sa
bienveillance, son empathie, amorce le retour en humanité de
Guillaume. Par respect de lui-même, de sa compagne, de son enfant, il a
pris tous les risques.
Ici s’arrête la tragédie grecque, le livre de Pascale Robert-Diard est non
seulement un excellent livre mais aussi une bonne action. Guillaume
Agnelet, après avoir déposé devant le tribunal peut espérer avoir
déposé son fardeau. Pour lui, une femme aussi courageuse que
talentueuse a voulu dissiper les ténèbres.
François Bernheim
Pascale Robert- Diard
La déposition. Editions l’iconoclaste