L’association La Plateforme ( www.plateforme.org ) « née en 2007 de la volonté d’explorer et de valoriser les richesses issues de l’intelligence relationnelle dans les organisations collectives », organisait à Marseille du 9 au 22 Novembre une série de débats aussi passionnants qu’ouverts sur le monde et son potentiel de changements et innovations. Depuis au moins trente ans , les anglo-saxons, l’Asie, l’Amérique latine, l’Europe du Nord s’intéresse activement aux communs (1) Trois livres sont parus en France depuis 2014 (2) Face aux impasses, échecs, tragédies du néo-libéralisme et de son bras armé l’économie financière, comme à ceux de l’économie soviétique ou à ses dérivés, le débat sur les Communs a déjà l’immense mérite de déplacer le curseur et en conséquence de proposer aux citoyens de reconquérir une initiative collective économique et politique concrète , c’est à dire d’abord locale et portant sur des ressources essentielles au déroulement harmonieux de la vie des individus et de la collectivité.
Cité par La Plateforme
Les Communs
« Selon Stefano Rodotà , éminent juriste italien, « les biens communs sont tous ceux qui contribuent au libre développement de la personnalité et doivent donc être soustraits à la logique destructrice du profit et du court terme, afin notamment de préserver le monde qu’habiteront les générations futures. »
Questionnement
« L’eau, les zones de pêches, l’énergie, le climat, l’espace public, les savoirs…autant de ressources fondamentales qui posent la question de leur gestion et de leur accès. Finalement que recouvrent les communs? quels enjeux y sont associés? Qu’est-ce qui les caractérisent et à quoi s’opposent-ils? A Marseille quelles sont les ressources et les espaces dont la préservation et l’accessibilité nous semble fondamentales? Quels sont les ingrédients nécessaires à une gestion et donc à une action collective? «
Luttes et avancées collectives récentes
« En 2000, à Cochabamba (Bolivie), la Coordinadora, alliance citoyenne composée de paysans, de citadins, de syndicats miniers… réussit à empêcher la privatisation des ressources en eau, et à s’imposer dans la gestion de ce bien commun.
En 2011, en Italie, suite à un référendum, 26 millions de personnes se prononcent pour que la gestion de l’eau ne soit pas privatisée et soumise aux lois du marché.
A Bologne, à travers la réglementation pour la préservation des communs urbains, la Ville aide les habitants à réaliser des propositions pour améliorer leurs quartiers. Elle encourage ainsi l’implication des habitants, les considérant comme forces de propositions plutôt que comme auditoire pour des concertations descendantes »
Le programme complet des débats est téléchargeable sur le site de l’association –voir la rubrique évènements.
Des compléments d’information peuvent être demandés par mail à :
Philippe OSWALD
Coordinateur – Référent de l’Espace Accompagnement
contact@laplateforme.org
Alima EL BAJNOUNI
Chargée de développement – Référente de l’Espace Citoyen
alima@laplateforme.org
Après Le 13 Novembre
Aucun débat, aucune expression publique, en France comme dans le monde n’ont pu ne pas être bouleversés par les attentats de Paris. Ainsi le 16 Novembre, La Plateforme recevait Patrick Viveret philosophe, auteur particulièrement attentif aux transformations du monde comme à ses drames (3)
L’intitulé de sa conférence était le suivant :
Tranformation personnelle – transformation sociale
se dégager des logiques de rivalité et de pouvoir pour une gestion collective des communs.
Comment ne pas reproduire, dans l’action collective les logiques mortifères qui menacent les communs? Comment mettre de l’huile dans les rouages, du Je/Nous, trouver les interactions harmonieuses entre l’individu et le collectif pour assurer la préservation et ledéveloppement des biens communs ?
…..
Note de synthèse élaborée par une amie de l’association
Nous étions venus écouter Patrick Viveret ce mardi 16 novembre 2015 dans le cadre de la quinzaine pour la convergence des initiatives citoyennes, organisée par l’association LaPlateforme.
Nous l’attendions sous ce thème: « Transformation personnelle, transformation sociale ».
Les organisateurs lui ont demandé d’adapter son propos en fonction des attentats de vendredi.
Il a invité chacun d’entre nous à prendre un temps d’intériorité pour réfléchir à cette question….
Chacun a donc pris ce temps pour lui. Puis nous avons partagé nos réflexions avec nos voisins de tables et de chaises…
Enfin, quelques groupes de partage ont restitué à la salle le fruit de leurs échanges…
Qu’avons nous appris d’essentiel des événements de vendredi dernier?
Et voilà comment ce temps a débuté… Patrick Viveret a voulu commencer par nous donner la parole en posant cette question :
Qu’ai-je appris d’essentiel des événements de vendredi dernier?
– Qu’ai je appris? Difficile d’être dans l’apprentissage alors qu’on est à peine sorti de l’émotion…
– Qu’ai je appris? Certes ce n’est pas un phénomène nouveau, il y a déjà eu des attentats… Mais j’appartiens à cette génération qui n’a connu que la sécurité physique et la tranquillité…
– J’ai appris ou réappris la fragilité de la vie… J’ai été confronté à ma relation avec la mort… Et avec la relation que d’autres entretiennent avec la mort…
– Je ne sais pas si j’ai appris mais je me suis questionnée : quel lien avec l’inaccessible, ces personnes qui nous semblent si inaccessibles car enfermées dans leurs psychose?
– La situation actuelle est devenue intolérable… La France, 4ème marchand d’armes dans le monde… Quel est le point de bascule qui fera que nous ne tolérerons plus ça?
– Il n’y pas de dedans., il n’y a pas de dehors…La guerre qui éclate à l’extérieur est le reflet de nos guerres intérieures… Faisons la paix avec nos proches, ne nous arrêtons pas aux haines dérisoires…
-Ce qui m’a frappé, c’est la capacité des uns et des autres – quand on ouvrait un poste de télé le samedi matin c’était frappant -, à produire un avis, à émettre une opinion juste après ce qui s’était passé; Pour ma part, j’ai eu besoin de prendre le temps de l’intériorité.. Et de silence…
– Je me suis dit que j’avais peur.. Que je devais aller à la COP 21 en décembre et que j’hésitais à participer. Et puis non, j’ai décidé de continuer à vivre. J’ai écris une lettre à ma sœur..; je lui ai demandé de la remettre à nos parents s’il m’arrivait quelque chose; je leur dis que je les aime et que s’il m’est arrivé quelque chose là-bas, c’est en faisant quelque chose qui avait du sens pour moi..
– Je me suis rappelé – car j’ai déjà vécu des situations similaires- à quel point la peur peut me dominer à ce moment-là… Avant la lutte contre le terrorisme, ne faut-il pas penser à travailler la maîtrise de nos peurs collectives?
Et si nous pouvions accéder à cet essentiel par d’autres voies?
Patrick Viveret a repris la parole : Il y a trois portes d’accès à l’essentiel que la plupart des grandes traditions de sagesse évoquent :
la porte de la beauté, la porte de l’amour, la porte de la souffrance.
Faute de savoir ouvrir la porte de la beauté et celle de l’amour, les humains se condamnent à n’accéder à l’essentiel que par la porte de la souffrance, explique Jacqueline Kelen dans son livre Un chemin d’ambroisie.
C’est tout à fait l’expérience que nous venons de faire : nous avons essayé de repérer l’essentiel appris des douloureux événements de vendredi soir;
Et si on faisait la même expérience en empruntant les deux autres portes?
Et si, en se reconnectant à des épreuves de joie (c’est- à-dire : les dernières fois où nous avons éprouvé de la joie) nous essayons de nous poser cette même question : qu’ai-je appris d’essentiel à cette occasion?
On s’aperçoit alors qu’on arrive aux mêmes réponses qu’en se posant la question à partir de la porte de la souffrance…
Accepter la condition humaine… qui ne va pas de soi!
Il faut arrêter de croire qu’il suffit de dire : « Remettons l’humain au centre »…
Il nous faut sortir d’une posture idéaliste, qui, en se heurtant à la dureté de la condition humaine, ne débouche que sur de la désillusion…
Pour aller vers le précieux facteur humain*, il faut accepter la condition humaine. Or, cette condition ne va pas de soi! Ca ne va pas de soi de se dire qu’on va mourir…
*PFH = acronyme pouvant être décliné en un « p… de facteur humain » auquel on se heurte… mais qui peut aussi se muer en « précieux facteur humain »
Ca ne va pas de soi d’être à la fois doué d’émotion et de conscience…
L’émotion = ce qui me meut
L’empathie peut fonctionner dans les deux sens..; Dans le sens de la reliance…. Mais également dans le sens de la fascination pour les dictateurs…
La reconnaissance de la fragilité est un premier pas vers un bon usage de l’empathie...
Du conflit…plutôt que de la violence
De la violence peut émerger quand des conflits ne se sont pas formés à temps : c’est le cas des émeutes de 2005…
La peur et la notion d’ennemi, de rivalité ont structuré le politique depuis longtemps… depuis les Grecs qui appelaient « barbares » les étrangers à la Cité, qu’il s’agissait de civiliser…
Si on change de logiciel politique, on va se rendre compte que ce n’est pas d’une barbarie extra terrestre dont nous parlons… mas bien d’une barbarie intérieure, liée à une altération de l’humanité…
Frater = genre humain
C’est la patrie des droits de l’homme qui a pu être celle aussi de l’impérialisme et du colonialisme… C’est la patrie de Kant et de Beethoven qui a aussi été celle du nazisme, la patrie de la statue de la Liberté qui a aussi été celle de la discrimination raciale.
Et avoir été victime n’est en aucun cas une garantie pour ne pas devenir soi même bourreau (Israel)
- Rapport ennemi à ennemi = violence
- Rapport adversaire à adversaire = conflit :
- il s’agit alors de construire des désaccords! Face à un ennemi, on est dans la logique de l’éradication, du nettoyage, de la purification. En revanche, je reconnais à un adversaire la qualité de membre du frater, du genre humain… je continue à le considérer comme un être humain, susceptible de bouger, de changer…. Ne pas identifier l’autre à son rôle social : des actes barbares, oui, mais des barbares non…
Viveret fait état de ce questionnement :
lors d’un forum social mondial, nous nous sommes interrogés sur ce qui faisait que ce mouvement perdurait… Alors que si nous jetions un œil au passé, nous nous rendions compte que la 1ère, la 2ème, la 3ème et la 4ème internationale n’avaient pas survécu longtemps. Nous sommes arrivés à cette réponse : c’est notre capacité à construire des désaccords qui rend cette longévité possible.
Un petit détour par Francesco Alberoni et le choc amoureux
Dans son ouvrage Le choc amoureux, Francesco Alberoni nous invite à considérer les mouvements sociaux et collectifs comme des rapports amoureux… et réciproquement.
Il décrit plusieurs phases successives :
Phase 1 : état magique de l’énamouration, ce que Sartre appelle « le groupe en fusion » (14 juillet, Printemps arabe…).On est dans l’énergie créatrice…
Phase 2 : Cette phase de l’énamouration se heurte à un moment donné au constat de l’altérité – le rapport peut alors se muer en une énergie un peu plus instituée (instituée au sens où Castoriadis l’entend) (cohabitation, Yalta)
Phase 3 : j’accepte l’altérité mas je ne me contente pas de l’accepter, je m’en nourris, elle me devient essentielle. L’amour peut réussir cette alchimie;
Sur un plan plus collectif, on parlera à propos de cette 3ème phase de qualité démocratique qui ne se résume évidemment pas au respect de la majorité (qui relève elle de l’énergie instituée)…
Et l’éthique?
Le propre de l’éthique, c’est se poser la question du discernement.
Evaluer, c’est délibérer sur ce qui fait valeur… (y compris vrai pour une logique d’évalutaiton des politiques publiques; la quantification est un outil au service de la qualification.)
Aller repérer ce qui est créateur de valeur… et ce qui est au contraire destructeur… Par exemple, si on reste à tout prix dans le souhait d’une croissance matérielle, la meilleure façon de relancer la croissance est d’être en guerre… mais délibérons : est-on ici dans la création ou la destruction de valeur dans ce cas?
Prospérité = ce qui nous tourne vers l’espoir
Valor = force de vie
En 1930, soit un an après la crise de 29, Keynes ose écrire qu’il ne s’agit pas d’une crise économique… mais d’une crise de l’économie : une crise de la surabondance. La même année, Freud publie Malaise dans la civilisation…
Le problème n’est pas la ruine matérielle, mais la ruine éthique et spirituelle... Il nous faut recréer de la confiance dans l’autre et dans l’avenir…
Deux besoins essentiels : sens et reconnaissance
On est arrivé à la fin du plein emploi…De l’emploi, nous pouvons aller vers le métier (ce mot qui contracte les notions de ministère – donc de service – et de mystère) ou encore l’œuvre, au sens d’Hanna Arendt.
Passer de la question : que fais tu dans la vie?….A « que fais tu de ta vie? »
Question :
« on voit fleurir depuis quelques jours sur les profils des réseaux sociaux des drapeaux français : n’est ce pas un signe qui peut exclure? »
Viveret :
Le risque de la pensée cosmopolite, c’est de négliger le besoin de sens et de reconnaissance d’un groupe qui revendique une identité;
Sur le cas de l’identité française, ce qui est intéressant, c’est que c’est une identité qui n’a pas été définie; le mot « français » est d’ailleurs étonnant : les francs sont les envahisseurs – les « barbares » en définitive – qui ont envahi la Gaulle.
Poser la question de l’identité française, c’est donc d’emblée poser la question du métissage…
C’est tout l’enjeu de nos sociétés post croissance : nous avons rendez-vous avec l’essentiel, et ne sommes pas condamnés pour cela à emprunter la porte de la souffrance…
Tout être humain individuellement, tout groupe collectivement a besoin de sens et de reconnaissance : je, nous avons besoin d’être reconnu dans une histoire qui fait sens.
D’autres questions…
Question :
« J’entends dire par différentes voix que la réponse à ce qui est en train de se passer est une gouvernance mondiale. N’est ce pas un peu naïf? »
Viveret :
De fait, cette gouvernance mondiale existe et elle a deux têtes : l’oligarchie financière et l’économie du crime. Le lien entre les deux? Les paradis fiscaux. Comment un groupe tel que Daesh peut il se financer si les paradis discaux n’existent pas? (blanchiment de l’argent du pétrole).
Pour répondre à la question « est ce naïf? », Gramsci, disait : « il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté »…
Question : « Devons nous définitivement renoncer à faire alliance avec les personnel politique? Devons nous désormais compter uniquement sur les forces citoyennes? »
Viveret : De la même manière que Churchill disait que la guerre est une chose bien trop grave pour être confiée à des militaires, on peut dire que la politique est une affaire bien trop importante, pour qu’on la confie aux seuls hommes politiques.
Des alliances restent possibles, il faut ici faire preuve du discernement évoqué plus tôt : parmi les hommes politiques, quels sont ceux qui écrivent le mot pouvoir en minuscule et qui entendent cette notion comme « pouvoir de », et qui exerce un ministère, sont au service de.. Ceux, au contraire qui écrivent le mot pouvoir avec une majuscule font davantage partie du problème que de la solution… On peut alors construire des désaccords avec eux…
Il nous faut reconstruire la politique, non plus autour de l’inimitié, mais autour de l’amitié (Jacques Derrida), car le propre de l’amitié, c’est l’exigence…
Transformation personnelle / transformation sociale
Nous sommes au delà de la question de la révolution, nous sommes dans ce qu’Edgar Morin appelle la métamorphose;
Le changement de nos sociétés passe par notre capacité d’auto-réforme…et à inverser certaines tendances : substituer par exemple au couple excitation/dépression le couple intensité / sérénité…
Inverser aussi ce que nous appelons avec Abdennour Bidar le double dérèglement climatique : le réchauffement climatique et la glaciation des cœurs…
Compléments d’information :
vidéo de la soirée sur le site www.fokus 21.org
interview de Patrick Viveret sur radio Grenouille – www.radiogrenouille.com/actu
Quelques références citées pendant la conférence.
- William REICH, La psychologie de masse du fascisme, 1998
- Jacqueline KELEN, Un chemin d’ambroisie, 2010
- Francesco ALBERONI, Le choc amoureux, 1979
- Cornelius CASTORIADIS, L’institution imaginaire de la société (1975) (par exemple)
- Pablo SERVIGNE, Raphaël STEVENS, Comment tout peut s’effondrer, Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, 2015
- Jacques DERRIDA, Politiques de l’amitié, 1994 Post scriptum : en recherchant la citation de Gramsci évoquée ce mardi, je suis tombée sur une autre que je vous livre : Gramsci : « La crise se produit lorsque le vieux monde n’en finit pas de disparaître et que le monde nouveau n’en finit pas de naître. Et, dans ce clair-obscur, des monstres peuvent apparaître. »
- 1/ Tradition et évolution dans l’étude des communs . Revue de la Répétition Maison des sciences de l’homme –Paris Nord – https://regulation.revues.org/10423
2/Livres récents
Commun de Pierre Dardot et Christian Lavalessai sur la révolution du XXI siècle éditions de la Découverte 2014
La Renaissance des Communs – Pour une société de coopération et de partage de David Bollier Editions Charles Léopold Mayer 2014
Le retour des communs- la crise de l’idéologie propriétaire. Sous la direction de Benjamin Coriat. éditions les liens qui libèrent
3/ des ouvrages de Patrick Viveret
Reconsidérer la Richesse (Editions de l’Aube 2005),
Pourquoi ça ne va pas plus mal ?
Editions Fayard 2005),
Le bonheur en marche
Edition Guerin 2015
Fraternité j’écris ton nom
Edition les liens qui libèrent 2015