« J’ai mal à mes cardans, j’ai mal à mes graisseurs, j’ai mal à ma babiole mais je ne le dirais jamais » écrivait Boris Vian. Dans son livre « Vous m’avez manqué, histoire d’une dépression française » Guy Birenbaum, lui, n’hésite pas à dire. Il dit, décrit dans le détail son addiction au Net, aux médias, il raconte le vertige, la griserie qui fait que plus on est présent au monde du virtuel pour faire de l’esprit, » basher », enfoncer tout ce qui bouge, plus on est absent à soi-même. Son livre fait quasiment de la dépression un personnage qui se substitue à celui de l’homme déprimé. Son récit haletant, fascinant, est celui d’une descente aux enfers et d’une lente et progressive remontée. Celui qui plonge n’imagine pas une seule seconde qu’il puisse y avoir une issue. Il est cramé, fini, incapable de revenir à la vie. Et pourtant il revient. Cette capacité qu’ont les humains de glisser au fond du précipice comme d’effleurer les étoiles est incroyable. Celui qui va mal accepte de traverser les ténèbres avant de mobiliser toute son énergie pour donner plus de chance à la vie.
Au delà de ses proches, femme, amis, confrères , médecin généraliste , psychiatre/ psychanalyste qui vont l’aider à remonter la pente, Guy Birenbaum a sans doute intégré l’écriture de ce livre dans son processus thérapeutique. Il façonne une machine de guerre où paradoxalement le silence joue un rôle moteur. L’écrivant fébrile est aussi lecteur au long cours de son propre livre et on imagine assez bien qu’il s’autorisera un jour à faire entrer le monde des humains dans un projet de vie renouvelé. Pour une fois un intellectuel ne mitonne pas des réponses toutes faites conformes à l’esprit du temps. Celui qui a plus que quiconque a surfé sur l’éphémère va beaucoup plus loin que l’aveu de sa détresse. Il trace en contrepoint de son récit un espace du possible où chaque lecteur va l’aider à formuler les questions qu’il s’interdisait de poser avant que la dépression ne s’empare de lui. Qui est-il ? Avec qui vit – il, pour quoi faire, pour quelles émotions, quelles solidarités, quels combats ? Le Net est peut être une poubelle mais il est aussi le révélateur ultra violent d’une absence de projet.
Est-ce de la faute de la fourchette si nous devenons obèses ? Sûrement pas, mais on ne peut passer pour autant sous silence l’effet de vitesse d’un média qui accélère la glissade collective vers l’abîme.
Voilà un homme qui a été chercheur en sciences sociales, éditeur, écrivain, éditorialiste, blogueur et qui ne cesse d’hurler qu’il n’existe pas, qu’il est illégitime. Guy n’est pas son prénom mais le pseudo utilisé par son père héros de la résistance et membre du FTP- MOI( 1). C’est un deuil familial qui a motivé sa naissance. Ceux qui ont survécu à l’holocauste, qui ont pu « revenir » de l’enfer ne peuvent se douter que leurs enfants revivront leur calvaire sans avoir comme eux la possibilité de se battre contre la barbarie. A un moment où le présent n’offre qu’incertitudes et insatisfactions, la situation n’a rien de réjouissant et ce d’autant plus que le Net ne manque pas de charrier des torrents d’excréments racistes et négationnistes…
Il fallait bien une dépression suivie de l’écriture d’un livre pour tenter de faire de sa vie autre chose qu’une survie. L’auteur de ce récit est un homme généreux. Il nous offre la possibilité de réfléchir à un monde mieux assumé et pluriel. Si les médias continuent à sacraliser le vide ambiant, c’est que nous acceptons encore de nous mettre à genoux devant l’éphémère, comme si l’exercice d’auto célébration qui est le leur, pouvait se confondre avec l’histoire en mouvement des êtres humains. Guy Birenbaum n’est en rien un « innocent » victime d’une nouvelle barbarie. Qu’il aide chacun d’entre nous à prendre conscience de son ambivalence, n’est pas le moindre de ses mérites.
François Bernheim
Guy Birenbaum
Vous m’avez manqué
histoire d’une dépression Française
Editions les arènes
(1) Les groupes de FTP-MOI sont créés en région parisienne, en même temps que les Francs Tireurs et Partisans. Ces groupes sont constitués par les membres de la Main-d’œuvre immigrée : des étrangers communistes vivant en France et ne faisant pas partie du Parti communiste français sont mis en place en avril – mai 1942.
Je n’avais pas lu ce papier remarquable. Merci.