Portrait d’une personne formidable ? Gilles Clément propose Gilles Tiberghien. Gilles Tiberghien, lui me recommande Marie de Hennezel .
» Si je devais reprendre l’expression de Gurdjieff dont Peter Brook avait tiré un beau film, Meeting with Remarkable Man, je dirais que Marie de Hennezel est une femme remarquable. Son extraordinaire engagement auprès des personnes en fin de vie serait déjà un titre suffisant pour l’affirmer, tout comme son travail avec des gens atteints du Sida dans les années quatre vingt – dix et ses interventions dans les maisons de retraite aujourd’hui pour donner aux plus âgés un espoir que notre société semble leur refuser. Mais il y a plus encore, il y a ce rayonnement qui émane d’elle, cette douceur et cette force de conviction qui séduisent même ceux qui pourraient ne pas partager ses idées. Moi qui ne suis pas religieux, je suis frappé par sa spiritualité qui ne se réclame d’aucune confession particulière. Bouddhisme, soufisme, mystique juive ou chrétienne n’ont pas de secret pour elle qui ne cherche jamais rien à imposer à personne mais qui poursuit volontiers avec ses interlocuteurs une interrogation à laquelle elle les associe tout naturellement avant même qu’ils s’en soient rendu compte tant ils ont plaisir à l’accompagner le temps de cette rencontre. D’une bienveillance et d’une ouverture d’esprit remarquable, Marie qui écrit aujourd’hui sur la génération des jeunes séniors à laquelle elle appartient incarne à mes yeux la vraie jeunesse : elle est de ces personnes rares qui ont toujours des projets et savent en même temps donner de l’espoir aux autres »
Gilles Tiberghien
Les mots n’ont pas la vie facile. Pour des raisons qui ne sont pas toujours raisonnables, les humains les étirent, les tordent, les étranglent, les assomment, quand ils ne les vident pas de toute substance…
Alors chaque fois qu’un individu prend le risque d’affirmer ce qui est en usant les mots pour ce qu’ils veulent dire, librement et en toute vérité face à la réalité du monde, c’est toute l’humanité qui retrouve la parole, se met en mouvement sans craindre d’abandonner ses anciens repères, c’est toute l’humanité qui retrouve son humanité.
«Porque preciso luz para seguir»
L’homme tient la femme serrée contre lui. S’il est capable d’assumer le mouvement, la femme en se laissant guider sera capable d’inventer librement les figures qui feront rêver tous ceux pour qui beauté, plaisir, rigueur et liberté sont indissociables. L’homme pourra être grand, maigre, dégingandé, la femme petite et boulotte, ensemble il seront sublimes, émouvants beaux comme un astre, pour la seule et unique raison qu’ils seront «accordés».
Marie de Hennezel n’est pas de ceux qui maîtrisent tout, décident de tout en vue d’obtenir ce qu’ils veulent. Elle a suffisamment confiance dans la vie pour écouter son corps et son âme, pour ouvrir la porte aux rencontres. Elle prend le risque de quitter les terres où l’on identifie et classe tout ce qui pourrait déranger. A-t-elle un objectif, veut-elle atteindre un résultat ? Surtout pas. Rien d’autre que vivre pleinement la vie, rien d’autre que de se donner les moyens de se rencontrer et de rencontrer les autres. Tango.
Port d’attache
Née le 5 Août 1946 à Lyon, elle est la fille du colonel Jean de la Ferrière. Après le suicide de sa première femme dont il a quatre enfants, il épouse la mère de Marie. Elle est l’aînée des six enfants qui suivront. Cette famille est catholique, de droite, mais Marie ne se sentira jamais enfermée dans un réseau de contraintes. Très vite elle prend en charge ses jeunes frères et sœurs. Elle a le sentiment qu’elle doit aussi protéger ses parents. Sur son site sa biographie indique qu’après avoir fait des études de langues et enseigné l’anglais aux élèves du secondaire ; elle est retournée à l’université pour y achever un DESS de psychologie clinique et un DEA de psychanalyse.
Sa carrière de psychologue commence en 1975. La loi Veil sur les interruptions volontaires de grossesse vient d’être votée. Des vacations de psychologues sont crées dans les bureaux d’aide sociale. C’est dans le cadre de ces consultations de planning familial que Marie va écouter pendant 7 ans des femmes en détresse. Puis elle obtient un poste de psychologue à l’hôpital psychiatrique de Villejuif. Elle y travaille trois ans auprès de grands psychotiques.
Bruno de Hennezel d’Ormoie, est son premier mari, Christopher Thiery son second. Elle a trois enfants et six petits enfants.
Le père de Marie -bon vivant et plutôt joyeux- connaît une profonde mélancolie pendant les deux dernières années de sa vie, et se suicide à l’âge de 82 ans.
Aurait-il pu être pris en charge? peut-être. Il n’a pas pu prendre la parole et dire à ses enfants quel homme il était. Marie le regrette «il nous a privé d’une partie de sa vie». Deux fois divorcée, résolument de gauche, Marie est le vilain petit canard de la famille.
Bénies soient…les contradictions
Se polariser sur la précarité de la vie et sa fragilité ou affirmer la puissance du désir de vie ?
Pourquoi choisir, pourquoi éliminer «du possible», réduire son humanité à une ligne droite sans creux ni bosse? Pourquoi ne pas assumer ses contradictions, accepter de vivre l’union des contraires dans le mouvement. De cette tension vitale jaillira la surprise, une solution inédite, un cadeau.
Elle qui fait confiance à son intuition, elle qui a su éliminer les couches faussement protectrices qui empêchent de voir, pratique avec bonheur l’art du vagabondage. Cette façon d’avancer en acceptant influences, rencontres, évènements qui croisent votre route presque par hasard est étayée par un penseur comme Jung que Marie de Hennezel admire. Agir ainsi, c’est solliciter les correspondances intimes tapies dans l’inconscient. Jung parle de «synchronicité» face à l’association d’un ou plusieurs évènements qui ne sont pas reliés par un lien de causalité mais par le sens qui s’en dégage pour la personne qui les perçoit. Cette forme d’aventure permet de découvrir des terres inconnues qui n’auraient jamais été abordées autrement.
C’est ainsi qu’elle aborde l’écriture de ses livres. Sollicitée pour écrire un ouvrage sur les seniors et l’amour «Sexy & Sixty» ( Robert Laffont), elle rencontre Macha Meril qui affirme avec force qu’avant soixante ans (elle en a 74) on ne sait pas vraiment ce que jouir veut dire. Au fur et à mesure de sa déambulation, Marie de Hennezel entend parler du tantrisme pour lequel la spiritualité et le sexe peuvent se rejoindre. Plutôt que de rejeter ou intégrer dans l’abstrait cette notion, elle fait un stage pour en savoir plus.
Dans ce livre, on découvre que l’on peut vieillir et prendre du plaisir sans nier le vieillissement des organes.
La psychologue n’est ni un esprit fort ni une dame patronnesse, plutôt un être vivant que l’échange avec l’autre ne cesse d’enrichir. Elle est assez forte pour accepter d’être vulnérable. En accord profond avec Young qui écrit «je dois abandonner toute prétention à un savoir supérieur, à toute autorité, tout désir d’exercer une influence». Marie de Hennezel accorde la plus grande valeur à la spiritualité de chacun. Il n’est nul besoin d’un être supérieur, d’un dieu et de son église pour avancer dans le sens de l’accomplissement humain.
Belles rencontres
François Mitterrand
Depuis 1981, FM sait qu’il est atteint d’un cancer. Ses médecins lui ont donné un pronostic vital de 3 mois à 3 ans. Il rencontre Marie de Hennezel en 1984. Elle a en face d’elle un homme que les questions métaphysiques concernent au plus haut point. Marie ne croit pas aux pronostics chiffrés et le lui dit, car aucune prévision n’est capable d’intégrer la force vitale d’un individu. Si François Mitterrand veut vivre, il vivra. Sa volonté sera capable de mettre en sommeil son corps et la maladie qui le ronge. Ce message il le reçoit avec une extraordinaire intensité. Pendant les 12 ans qui le séparent de sa mort, le 8 Janvier 1996, ils se sont vus régulièrement. Le gouvernement de gauche sous l’impulsion du chef de l’état crée la première unité de soins palliatifs, et François Mitterrand demande à Marie d’être la psychologue qui accompagne cette avancée. Il lui présente Christopher Thiery, qui deviendra son deuxième mari. Peu avant sa mort, elle dira à François Mitterrand «vous ne m’avez fait que du bien» et elle verra une larme couler sur la joue de son interlocuteur.
Maurice Zundel
est un prêtre suisse connu pour ses réflexion et ses positions peu orthodoxes. Il écrit de nombreux livres dont «Dieu ce grand malentendu». Marie est très influencée par sa pensée subversive. Il ne croyait pas à une instance divine extérieure à l‘homme mais à la nécessité d’une éthique de l’au-dedans de la vie puisqu’il n’y a pas d’au-delà. Peu importe qu’il y ait une vie après la mort pourvu qu’il y en ait une avant. Le sacrifice de soi est un acte joyeux non un renoncement triste. Hors des tabous et des interdits, il veut mettre en œuvre une morale de la libération allant vers le dépassement, le don infini de soi.
Richard Moss
Il apprend à Marie comment travailler avec les autres, comment créer un climat de confiance à l’intérieur d’un groupe, chacun ayant la certitude de pouvoir s’exprimer sans être interrompu ni jugé. Les membres du groupe ont toute latitude à réagir après l’intervention mais ils le font non au niveau d’idées générales mais à titre personnel. Ces règles permettent d’obtenir des résultats extraordinaires qui révèlent la vérité et la profondeur de chacun. Ainsi naissent des relations d’amitié entre des gens qui autrement ne se seraient pas rencontrés. La méthodologie de Richard Moss défriche un territoire d’une richesse infinie, celui de la confiance. Celle que l’on s’accorde à soi, aux autres, à la vie. Le processus étant cumulatif.
Ni Dieu ni maître ?
Celle qui à l’inverse des autres psys n’accepte pas d’avoir un maître, est moins une rebelle qu’une dynamiteuse de sens. Les aller-retours entre les expériences menées sont tellement intenses qu’elles amènent chacun à penser, à se poser des questions sur sa vie et les balises qui la bornent.
Marie de Hennezel n’a pas besoin d’adopter une posture d’intellectuelle pour solliciter l’intelligence de ses contemporains.
Est-elle inclassable ?
Et si c’était nos modes de classements qui étaient périmés. Les hommes sont trop égoïstes pour se préoccuper des autres? Non mais il se pourrait bien qu’une grande partie d’entre eux n’aient pas eu l’occasion de réaliser que le don total de soi n’est en rien l’ennemi du plaisir. Eros est partout, l’activité humanitaire est à égalité amour de soi, amour de l’autre. Ainsi quand une aventurière a l’audace d’explorer les territoires sensibles du mystère humain, elle nous autorise à mener à bien une expérience capable de faire éclater les frontières du convenu. Réduire le don de soi à une opération de bienfaisance c’est passer à côté de sa propre vie. Scandale : «les forces de l’esprit» ont un corps et il n’est pas que souffrant.
Il faut du courage pour travailler pendant des années dans une unité de soins palliatifs. Mais la qualité d’un échange sans masque avec une personne qui accepte d’être acteur de sa propre mort est simplement bouleversante.
Cet accompagnement -s’il a des vertus apaisantes- va beaucoup plus loin, il révèle la profondeur de l’être, place sa vérité au cœur de la vie dans la situation la plus extrême «parlez à mon âme même si je suis dans le coma». Force du désir et précarité de l’existence. L’accompagnant en acceptant sa propre fragilité facilite l’échange avec l’accompagné. Leurs situations sont différentes mais ils sont à égalité.
En hommage à un de ses amis mort du sida, Marie a fondé l’association Bernard Dutant «Sida et ressourcement». Elle a organisé des voyages dans le désert avec des malades. La moitié d’entre eux sont décédés mais l’extraordinaire qualité de leurs prises de parole résonne encore dans sa tête.
Marie de Hennezel doit une des expériences les plus fortes de sa vie au désert. Un soir, couchée au creux d’une dune et éloignée de tous, elle sent l’air vibrer. Jamais elle n’a ressenti une telle harmonie, une telle sécurité. Elle aimerait pouvoir s’en souvenir le dernier moment venu.
Notre siècle, croyant sans doute repousser les limites ultimes a chassé la mort de la vie, alors que celle-ci peut être un accomplissement. « J’attends la mort avec gourmandise » disait le sublime vivant, Stéphane Hessel.
Cette vie est-elle nécessairement moins intense quand elle ralentit?
La vieillesse est-elle obligatoirement un naufrage ?
Non. Marie de Hennezel travaille aujourd’hui pour des caisses de retraites et anime des séminaires qui réunissent des personnes de 70 à 100 ans.
Elle y met en pratique l’enseignement de Richard Moss. Les résultats sont d’une grande richesse tant pour les individus qui se sentent reconnus que pour une réflexion plus globale.
Les personnes âgées sont aujourd’hui porteuses de contre-valeurs essentielles. Leur corps ne permet plus d’aller aussi vite. Plutôt que de le déplorer, elles prendront le temps de savourer et d’aimer. Ainsi la disponibilité physique devient ouverture, capacité à accueillir l’autre. Vieillir veut aussi dire se débarrasser de tout ce qui est inutile.
Adieu postures et masques de circonstance.
«Il est interdit d’être vieux» Rabbi Naaman
Tant qu’existent le désir, l’amour, l’amitié, tant que l’on s’autorise à faire des rencontres, à remettre en cause ce que l’on a appris, la vie vivante, palpitante, troublante, intense, réserve les plus belles surprises. Dans le film «Sous le figuier» 3 adultes en crise acceptent de tenir compagnie à une dame de 95 ans incarnée par Gisèle Casadessus. C’est elle qui par sa vitalité, son intelligence, leur redonnera le goût de vivre.
Marie de Hennezel ne cesse d’apprendre et de remettre en question son savoir. Passionnée par la psychanalyse, elle évite comme toujours d’entrer en religion, elle suit avec beaucoup d’intérêt le développement des neurosciences et les nouveaux outils qu’elles proposent. Elle rencontre avec beaucoup de bonheur l’Haptonomie de Frans Veldman, science de l’affectivité où le thérapeute développe une qualité de contact qui autorise le patient à reprendre confiance en lui. «La peau a une mémoire», cette méthode permet au moi profond de l’individu de s’affirmer en dépassant ses traumatismes. Marie a redonné confiance en elle à une jeune femme affligée d’une infirmité qui lui interdisait toute relation amoureuse. Si les êtres sont multiples ,différents, pourquoi leur administrer à tous la même potion?
En 2005, Claude Pinault est brutalement atteint du syndrome de Guillain- Barré, il est tétraplégique et condamné par la faculté à le rester. Il refuse le verdict mobilise toutes les techniques susceptibles de l’en sortir. Contre toute attente il réussit et retrouve une vie normale. Dans un livre d’entretiens avec Marie de Hennezel «j’ai choisi de me battre, j’ai choisi de guérir» il explique le sens de son combat. «Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec on atterrit dans les étoiles».
Aujourd’hui Marie de Hennezel ne danse plus le tango, mais va regarder les adeptes de la milonga évoluer sur les berges de la Seine. Elle goûte aux plaisirs de la vie, prépare de délicieux repas pour ses amis. Son prochain livre sera consacré à celui qui croyait aux forces de l’esprit.
Ses 3 enfants avaient choisi des chemins différents du sien. Celui qui était financier est devenu ostéopathe en Nouvelle-Zélande et dit avec le sourire qu’il fait des miracles. Le second, consultant en gestion de crise s’intéresse de près au vieillissement et défend les intérêts des personnes âgées. Sa fille aînée est professeur de yoga.
Marie continue son chemin, écoute sa petite voix intérieure qui lui a toujours permis d’être en accord avec elle même. Demain, au gré du hasard, de sa lucidité et de son courage, elle défrichera de nouveaux territoires. On peut imaginer que l’amour amoureux et l’amour de l’humanité resteront à jamais ses gardes du corps. Celle qui affronte la vieillesse et la mort en face et qui aide ses semblables à les vivre pleinement, est porteuse d’une insolente et lumineuse jeunesse.
François Bernheim
Votre article me touche beaucoup. Je viens de m’acheter le dernier livre de Marie de Hennezel : « Croire dans les forces de l’esprit ». Cette femme éveille en moi un désir de ressemblance, encore mal dégrossi dans la forêt de mon propre quotidien. Est-il possible de la rencontrer ? Consulte-t-elle encore de « simples particuliers » ? Merci de me répondre.
Marie de Hennezel est une femme ouverte et généreuse. Il suffit de lui écrire chez son éditeur.Elle vous répondra sûrement.
Bonsoir, votre article est magnifique. J’ai découvert récemment Marie de Hennezel et ses livres » l’art de mourir », » la mort intime » et plus tardivement » croire aux forces de l’esprit » sont très purs. Le langage est sobre et oh combien, chaque mot compte. Chaque mot a sa place et les phrases révèlent d’une immense densité, celle qu’on peut développer au contact des mourants. Je viens d’accompagner durant plus de 2 ans mon conjoint, atteint d’une grave tumeur au cerveau et il a dû aller durant les 6 derniers mois en unité de soins palliatifs. Chaque jour j’ai été à son chevet. Chaque jour, la phrase de Marie de H raisonnait en moi » ce sont des vivants, ce sont eux qui nous apprennent à vivre ». Et chaque jour je sublimait les heures passées avec lui, car lui, ils les sublimaient. On mangeait, ( beaucoup), j’ai dansé, on écouté de la musique, on regardait des vidéos, j’ai organisé des grands dîners avec tous ses amis, ainsi va la vie. Il est décédé en ma présence sereinement il y a moins d’un mois. C’était un moment de grâce. J’ai beaucoup à partager sur ces moments avec Jean, mon amour. Mozart aussi l’a accompagné jusqu’à la fin. MERCI ma chère Marie de Hennezel , vous m’avez beaucoup aidé. Et vous savez, il y a beaucoup à faire dans les unités de soins palliatifs ….