La voix singulière d’Abd Al Malik est ancrée dans nos émotions comme celle d’un homme libre, capable de dire la beauté du monde, autant que la souffrance de l’exploité. Une voix poélitique, avec un corps, une âme en mouvement. Aujourd’hui Abd Al Malik publie aux éditions Indigène « Place de la République » pour une spiritualité laïque. « Il n’y a qu’une seule communauté qui puisse primer sur les autres, c’est la communauté humaine » L’auteur incarne le bon sens trop peu partagé, la générosité, l’amour de la vie et nous rappelle fort opportunément que la spiritualité avec ou sans dieu est ou devrait être le lien indispensable entre les humains. Comment la République française pourrait elle rester la république si elle ostracise sans vergogne des millions de citoyens musulmans ? Abd Al Malik cite Césaire affirmant que l’occident s’avére incapable de résoudre deux problèmes majeurs : le problème du prolétariat et le problème colonial. Quand on voit la banlieue, les cités ostracisés en permanence à la une des médias, cette réflexion prend tout son poids.
Depuis les évènements de Janvier, les assassinats de l’équipe de Charlie Hebdo et des juifs du super marché casher, j’ai , autour de moi, entendu beaucoup de gens aussi intelligents que modérés regretter que des dessins puissent offenser des millions d’hommes et de femmes dans leurs croyances les plus profondes. Ces personnes n’envisageaient en rien de porter atteinte à la liberté d’expression. Abd Al Malik est de ceux là.
Alors que faire et surtout que penser ?
D’abord accepter la complexité des problèmes, débattre. Affirmer avec force la nécessité de l’éducation, de la culture. Se souvenir du passé, le confronter à la réalité d’aujourd’hui. Je me souviens que dans mon enfance en province dans les années 50,
on parlait des melons, crouilles, bicots plutôt que des arabes. Pourquoi aujourd’hui parle t-on plus souvent des musulmans que des arabes ? Parce que les musulmans ne sont pas tous des arabes ? Certes, mais les glissements de vocabulaire ne sont pas innocents. La confusion de plus en plus fréquente entre musulman et islamiste est là pour l’attester. C’est encore une fois Aimé Césaire qui nous met sur la voie. Dans les médias le prolétariat n’existe plus, l’arabe colonisé non plus, l’évacuation de la question sociale ( voir l’article sur ce blog sur le racisme et la domination de classe) a laissé la place aux fondamentalismes de tous bords. La religion devient donc le seul repère auquel on puisse se raccrocher. Que penser des manifestations de masse anti-Charlie dans des pays où l’arbitraire, la barbarie sévit à longueur d’année ? Y-a-t-il là seulement défense de la foi ?
Abd Al Malik a raison de défendre la complexité et une spiritualité ouverte à tous, mais si on continue à s’interroger sur le bien fondé de la caricature, ne faut –il pas rappeler le fait colonial, le mépris pour la question prolétaire ?
Le drame de la caricature tient sans doute dans la rapidité de son efficacité. Mais là où ça fait mal, ne faut-il pas expliquer, argumenter, mobiliser nos connaissances historiques ? Sachant que ce processus de reconstruction, à l’inverse de la caricature exige un temps infini. Pourquoi ne pourrait-on pas se moquer de toutes les religions et de leurs représentants en respectant tous les croyants ?
Abd Al Malik n’a pas raison sur tout, mais l’écouter, c’est entendre un homme de foi qui nous abjure de retrouver, ensemble notre humanité. Immense chantier.
François Bernheim
Abd Al Malik
Place de la République
Pour une spiritualité laïque
Editions indigène