A la Clinique, ils sont tous fous. Et folles. De l’araignée au plafond à l’entonnoir sur la tête, ils ont tous un grain. Il y a la mamie de la chambre 15 et sa démence sénile. Luce, la bipolaire surmaquillée qui ressemble « à une guirlande allumée ». Frédéric, qui n’est « pas né déglingué ». Avant l’accident de vélo qui l’a rendu épileptique et délirant, il était tout à fait en phase avec sa vie. C’était un artiste, il avait l’habitude des idées qui s’entrechoquent dans un cerveau, mais pas de la douleur qu’il éprouve maintenant. Il y a aussi la belle Agathe qu’un licenciement brutal a plongé dans une dépression dont le symptôme le plus angoissant l’empêche de passer devant une fenêtre, à cause du vide menaçant qui l’appelle à travers la vitre. Et puis tous les cinglés, les délirants. Pour compléter le tableau, il y a Yo l’infirmière, qui aime la compagnie des Fous et qui demande régulièrement une citronnelle pour la remettre d’aplomb dans le bar pour alcooliques qu’elle fréquente et dont le patron est un ami. On devine bien qu’elle aussi a sa bizarrerie cachée, qu’elle est le produit d’une histoire compliquée. « Elle a tracé sa vie entre la raison et la folie, en ménageant les deux, comme s’il n’y avait pas de contradictions entre elles. » Cette vie, en fait, ne tient qu’à un fil, « Le Fil de Yo » qui donne son titre au roman subtil de Caroline Tiné. C’est à ce fil ténu qu’elle se raccroche quand la souffrance des autres et la sienne menacent de la plonger dans son propre labyrinthe. « Soulager les maux des autres est devenu son équilibre ». Yo a un don. Celui de l’empathie avec les patients, les schizophrènes, les bipolaires, les mélancoliques. S’approcher au plus près de leurs indicibles maux ne lui fait pas peur. Elle sait que ce ne sont pas les sangles ou les électro-chocs qui vont les soulager, mais un temps d’attention et toute sa bienveillance. Et les légers progrès dans l’état des Fous qu’elle a en charge, ses observations et ses idées déclenchent la jalousie des psychiatres patentés, diplômés et psycho – rigides. A la Clinique, comme dans tout microcosme humain, des amitiés se tissent, des amours s’esquissent, des destins croisent leurs liens fragiles. Et même des guérisons s’esquissent. Ecrit sans effets de style, ce roman sensible fait mesurer combien cohabitent en chaque existence banale raison et folie en équilibre précaire et qu’entre les deux, pourquoi se forcer à faire un choix ? C’est ça qui serait fou.
Marie Hélène Massé
Le fil de Yo
Caroline Tiné
JCLattès