Les pauvres, les exploités, les opprimés avant d’avoir une religion, sont d’abord les grands perdants de la lutte des classes à l’échelle mondiale. Si l’on s’en tient aux banlieues françaises, depuis combien d’années le pouvoir politique et la bourgeoisie ont-ils systématiquement relégué et abandonné une population qui a pu dans une période précédente, constituer une main d’oeuvre d’appoint. Les événements tragiques des 7 et 9 janvier obligent chacun à se poser les bonnes questions. Dans le Monde diplomatique de Février, Benoît Bréville dans son article « Islamophobie ou prolophobie » fait une analyse lumineuse des différentes vagues d’immigration que la France a connu au 20ème siècle. On s’aperçoit que la question sociale a comme par hasard été évacuée au profit d’une grille qui privilégie l’ identité d »origine. Oublions donc qu’ avant d’être algériens, tunisiens, « ces gens là » sont d’abord des prolos. A l’évidence quand il ne le sont pas, ainsi une partie des russes immigrés, il devient normal de pouvoir partager avec ces exilés une culture et des valeurs qui n’ont pas de frontière. Race et culture justifient le rapport de domination. Elles ne sont pas la résultante d’un rapport de force, mais sont assénées comme des données de nature. Le malheur veut que ceux que l’on domine en permanence à force d’être délégitimés et méprisés, vont devenir perméables aux sirènes du populisme et de l’islamisme.
Dans Le Monde des livres du 30 Janvier qui consacre plusieurs pages à la BD au moment du festival d’Angoulême, la dessinatrice Lisa Mandel avec une économie de moyens propre aux caricaturistes, tape où cela fait le plus mal. Le court circuit opéré entre les préjugés les plus enracinés » du vrai travail d’arabe » et l’assassinat de l’équipe de Charlie Hebdo » est littéralement percutant. Cette expression » du vrai travail d’arabe » combien de fois l’ai-je entendu depuis mon enfance. Elle accompagnait avec élégance les différents mode de désignation des arabes: ratons, bicots, crouilles, etc.
Il faut s’interroger sur le pouvoir des mots. A l’évidence aucun mot n’est à lui seul un révolver. Aucun mot ne tue en direct, mais l’utilisation de certaines expressions répétées aussi souvent qu’il est possible, prépare le terrain. Les mots autorisent, voire légitiment des actions meurtrières. Les juifs, caricaturés par les nazis et autres antisémites ont payé très cher le prix de cet ostracisme. Les terroristes islamistes qui exploitent avec la plus grande malignité le mépris qui frappe les musulmans, nous obligent, au delà de l’indignation, à revoir sérieusement nos grilles d’analyse. il est peut être encore temps.
François Bernheim