Jeudi 8 janvier 2015
Certains commentaires échangés hier sur FaceBook, m’ont troublée, dérangée… Je peux comprendre l’indignation, l’émotion qui poussent à des affirmations un peu hâtives. Cependant, je ne peux partager l’opinion de leurs auteurs. Ceci, par exemple (je prie l’auteur de ne pas se sentir visé personnellement, d’excuser que je ne le cite pas ; son message contient simplement les points qui m’ont le plus interpellée) :
“ La guerre menée par les islamistes contre l Occident a commencé dans les années 80 lorsque Salman Rushdie a été condamné a mort par les fondamentalistes iraniens pour qq lignes écrites dans son livre « les versets sataniques ».
Avant les années 80, les années 70, les années Carlos : oubliées ? Avant encore, il faut se souvenir qu’au temps de la décolonisation, ce sont les dirigeants des anciens pays colonisateurs – la France en tête – qui, afin de tenir les peuples “libérés“ sous contrôle, ont soutenu, voire mis en place les chefs religieux. Le coup a réussi bien au-delà de leurs espérances : aujourd’hui, la majorité des pays où l’Islam est la religion dominante vit sous le joug de ces chefs religieux et/ou de dictateurs proches de ces derniers.
Voyez à quoi a abouti le Printemps arabe. Voyez ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie, en Egypte, en Algérie et ailleurs encore, pour ceux qui luttent pour la liberté, donc pour la liberté d’expression et la liberté d’opinion, qui se battent pour le droit à la laïcité, pour l’émancipation des femmes : au mieux, les injures, les menaces, les représailles. Pour le journaliste et écrivain Kamel Daoud dont le roman “Meursault, contre-enquête“ a manqué le dernier Prix Goncourt pour une voix : la fatwa ! Comme Salman Rushdie, il est musulman ; comme lui, il a été condamné par des musulmans. À mort. Khomeiny qui, ironie du sort, prépara sa révolution à Neauphle-le-Château, France, déclara la fatwa sans avoir lu une seule ligne des “Versets Sataniques“… (lire “Joseph Anton“, récit autobiographique des 12 années vécues par Rushdie durant la fatwa. Lire avant, si ce n’est fait, les VS, où il n’y a pas de quoi fouetter un chaton).
En Europe, les femmes qui portent le voile, n’y sont pas forcées par la loi. Elles ont le droit d’aller chez le médecin et leurs filles de fréquenter l’école. Elles peuvent conduire, travailler, ouvrir un compte en banque. Les autorités n’enjoignent pas à leurs frères, leurs époux de les faire marcher à trois pas derrière eux. En Europe, la vie des musulmanes et musulmans n’est pas toujours rose, loin s’en faut, mais dans la plupart des pays arabes leur vie est bien plus sombre. Les premières victimes du fondamentalisme islamique sont les musulmans.
Plus loin : « Le but de ces gens est de déstabiliser les états d’Europe, afin que des émeutes éclatent et mènent à des guerres civiles pour instaurer le chaos »
De quelles gens parle-t-on ? En admettant qu’il s’agisse des chefs religieux, leur but premier est d’assouvir leur soif de pouvoir, de l’exercer sur leurs compatriotes et coreligionnaires, d’imposer la charia coranique comme unique loi, d’écraser l’individu, de le soumettre. Cela s’appelle faire régner la terreur. Et c’est ainsi qu’on engendre des terroristes. En admettant qu’on parle de Al Qaida, de l’Etat islamique, etc., on peut en partie acquiescer. Le chaos… Hier, nous avons plutôt assisté à une cohésion, un élan d’unité face à l’adversité. La grande majorité des musulmans, en France et au-delà, ont fermement condamné l’acte de barbarie. Combien de “Je suis Charlie“ de par le Monde ? Impressionnant !
Bien sûr, il y a toujours qui jette de l’huile sur le feu ou nie l’évidence. Marine Le Peine de Mort souhaite offrir (sic) aux Français le retour de la guillotine ! Quelques islamistes déclarent que la tuerie est un complot sioniste… Pazienza, comme on dit chez moi. Guerre(s) civile(s) : il faut deux camps pour cela. Lesquels ? Chrétiens contre musulmans ? Français d’origine européenne contre Français d’origine africaine ?…
Je nie, en aucun cas, la dangerosité de certains individus. Il faut la prendre très au sérieux et les services spécialisés européens font leur boulot du mieux qu’ils peuvent. Parfois, ils échouent : hier, les deux frères Kalachnikov ont répandu la terreur que “ces gens“ ont semé.
Pourquoi, au nom de qui, de quelle organisation ? Nous ne le savons pas encore avec précision. Il fait cependant peu de doute, que s’ils en sont arrivés à un tel extrême, c’est qu’il reste beaucoup à faire en France sur le plan de l’intégration des immigrés en général et des musulmans en particulier. Sur ce sujet, Pierre Conesa s’exprimait avec beaucoup de clarté au journal de 12h30, à écouter ici : < http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/le-12h30/6422479-presente-par- karine-vasarino-08-01-2015.html?f=player/popup > (curseur sur la minute 15,30).
Quant à la guerre menée par les uns et à laquelle les autres répondent par la guerre, je conseille vivement, en complément, cette interview de Pierre Conesa publiée le 13 octobre dernier : http://www.marianne.net/Pierre-Conesa-Le- terrorisme-ne-se-combat-pas-par-la-guerre_a241877.html
À mon humble avis, le combat à mener en priorité est celui de l’éducation. Il faut le mener en France, c’est par trop évident, et, conjointement, soutenir, par tous les moyens politiques à disposition, les pays arabes à développer l’éducation chez eux, à éradiquer l’illettrisme. L’ignorance est mère d’intolérance qui est sœur de violence.
Ceci encore : “Ils ont commencé ce qu’ils appellent la reconquête de toutes les terres qui ont connu l’Islam. Les Frères Musulmans déclarent que le monde sera converti à l’Islam, même s’il faut mille ans pour cela, cela sera »
“ Je ne crois pas que “cela sera“. Je ne crois pas à une islamisation des pays de tradition judéo-chrétienne ou autre, ni à moyen ni à long terme. Je veux croire en une coexistence tolérante et pacifique des êtres humains – pas à court terme, je ne suis à ce point naïve, mais à terme, oui. Pour ce faire, je suggère à chacun de bien s’informer avant de juger, d’explorer le passé pour mieux comprendre le présent, de faire l’effort d’approcher l’autre pour ce qu’il est, sans crédulité aveugle mais avec bienveillance.
Il ne suffit pas de passer une semaine à Sharm-el-Sheik, Marrakech ou Dubaï pour dire : je connais.
Quant à moi, je continuerai à lire Tahar Ben Jelloun, Khalil Gibran, Salman Rushdie, Kamel Daoud, Azza Filali, Marjane Satrapi, Riad Sattouf (…la liste est longue) ; je continuerai à rire avec Jamel Debbouze et Kad Merad. Je resterai, envers et contre tout et tous, l’amie de mes amis musulmans, juifs, chrétiens, bouddhistes, hindouistes, athées, de quelle couleur qu’ils soient.
Catherine Wolfsperger
Catherine Wolfsperger est une amie de « Mardi ça fait désordre » une femme aussi libre que bien informée. Après l’assassinat de l’équipe de Charlie Hebdo, il ne s’agit pas seulement de confronter une opinion à une autre, mais, chose essentielle, de confronter idées et opinions à l’histoire. Chaque personne de bonne foi pouvant aller mesurer ce que peut avoir de pernicieux la propagation de pseudo vérités qui ne visent qu’à discréditer une partie de la population et à attiser la haine entre les humains.