Début Juillet 1914, la direction de France Culture, décide de supprimer l’émission quotidienne d’Alain Veinstein «Du jour au lendemain» consacrée à la littérature et à la poésie sera supprimée à la rentrée . Pourquoi cette décision ? Officiellement pour faire des économies, il n’y aura plus d’émission après minuit.
Pourquoi une telle décision ?
Parce que l’on juge l’émission mauvaise en dessous des standards de la station ? Sûrement pas. Il semble bien qu’elle ait été appréciée pendant pas moins de 29 ans. Mais on peut aussi juger, dans le contexte de modernité morose où nous plongeons, qu’une telle émission est mauvaise parce que subversive, dérangeante, de moins en moins en phase avec la médiocrité ambiante. Bref une émission pourrait être aussi jugée mauvaise parce que trop bonne !
Au moment où Alain Veinstein s’apprête à dire adieu à ses auditeurs, on lui annonce que sa dernière émission « trop personnelle » ne peut être diffusée. L’heureuse reprise du texte incriminé par les éditions du Seuil, si elle ne répare pas l’injustice, est cependant très éclairante. Alain Veinstein loin de cracher dans la soupe, donne sa vision de la littérature et de la critique. Son émission n’était celle d’un professionnel, propriétaire d’un savoir culturel que les masses, pour leur édification ou leur standing devraient partager. « Du jour au lendemain » était l’émission d’un funambule, d’un voleur de feu avide de faire partager ses doutes, ses enthousiasmes. Celui qui faisait face à un auteur était un homme nu, assez exigeant pour oublier tout savoir afin de mieux profiter de la rencontre , dans ce qu’elle peut avoir d’incongru, magique. Ainsi chaque émission est peur panique, émotion et joie de se trouver en phase avec l’autre. Cette conception de la culture élimine toute posture, toute prise de pouvoir. Elle est jouissance, partage, instant volé à la banalité, à la médiocrité.
Priver celui qui est totalement dans l’échange de la possibilité de dire adieu est une monstruosité. Celui qui s’exprime aujourd’hui, voit subitement demain disparaître. Il est forcément coupable de quelque chose. Sa dernière émission voulait en quelques instants dire comment il avait accompagné la littérature et les auteurs pendant plus d’un quart de siècle. Quelle impudence, ce n’est pas assez de l’avoir fait, l’animal le dit , ou voulait le dire au risque de laisser supposer que c’est bien cette conception brûlante de la littérature qui était censurée. Ne pas pouvoir dire adieu est monstrueux parce qu’ainsi on ne permet même pas au de poète de mourir. Il ne doit ni vivre, ni mourir mais se retrouve effacé de la carte. Le jour n’a plus de lendemain. Il y a là tentative d’anéantissement. Grâce à l’édition de ce petit, grand livre de 31 pages, l’entreprise a en partie échoué. Celui qui prenait chaque jour le risque de mourir pour vivre en plus grand dans le partage de l’exigence, peut aujourd’hui toucher le fond. il revient à ses lecteurs de manifester leur addiction viscérale à une idée de l’humanité transcendée par la beauté complice de la poésie.
Alain Veinstein, pour 5 €, vous offre d’être solidaire d’une conception aussi exigeante que belle de la littérature. Au passage, mais sans vous faire remarquer, vous mettrez un peu de baume sur ses plaies. « Du jour sans lendemain » est un cadeau durable.
François Bernheim
Alain Veinstein
« Du jour sans lendemain » émission censurée
Editions du Seuil collection Fiction & Cie