Une femme qui porte une jupe courte et invite à visage découvert un homme de passage à partager son lit est une pute.
Une femme ayant aussi mauvais genre que la précédente qui refuse de partager le lit d’un homme est aussi une pute,car elle a l’audace d’attiser le désir masculin sans le satisfaire. Dans l’Iran des ayatollahs un homme qui viole une femme au visage non voilé n’est pas un violeur.Il est un homme,jamais un coupable.
Abnousse Shalmani nait en 1977 à Téhéran,dans un pays qui a subi la dictature du Shah, avant celle des ayatollahs.La femme est pour eux un objet suffisamment dangereux pour être caché. Désormais dans ce pays les hommes devront être soumis et les femmes inexistantes.En 1985 Abnousse et sa famille émigrent en France.
D’où vient que son livre » Khomeiny,Sade et moi » soit aussi jubilatoire ? Comment peut–il, dans le contexte de sinistrose ambiante, être aussi magique et libre qu’une révolution réussie? Alors qu’il traite d’une période où un pays plonge dans l’obscurantisme, où la douleur de l’exil est présente à chaque seconde,où l’auteure découvre que la France est encore le pays des droits de l’homme, bien qu’il y ait parmi ses habitants,des hommes et des femmes,dont la barbe pousse à l’intérieur.
Imaginez une femme qui brandit fièrement le drapeau de l’insoumission permanente entourée d’Olympe de Gouges,de Liane de Pougy,de Louise Michel et de quelques autre belles irréductibles,intellectuelles ou courtisanes.
Imaginez qu’elle soit en même temps la soeur d’Alice au pays des merveilles et de Zazie dans le métro, une sorte d’affreux jojo capable à l’âge de 6 ans de se mettre cul nu dans l’enceinte de l’école pour protester contre le port du voile. Cette petite fille qui grandira suffisamment pour rester une petite fille,est aussi intense dans sa puissance de vie et de rêve que dans sa réflexion. Sa plume est un scalpel trempé dans l’encre de la tendresse et de la joie. Il y a très longtemps qu’elle a compris que la morosité est un poison versé dans l’écuelle de ceux qui pourraient déranger l’ordre établi.
Le talent d’Abnousse Shalmani est aussi celui de la rencontre.Son père amateur passionné de livres et d’idées généreuses a plus que soutenu sa dissidence,il l’a encouragée,Il s’est battu pour qu’elle puisse lire Zola à l’âge de 12 ans et quelques mois plus tard lui a permis de découvrir des ouvrages érotiques.Le jour où il s’est aperçu que sa fille risquait de souffrir dans un Iran cadenassé, il a décidé de partir.Voilà un homme qui a donné à sa fille la plus belle arme du monde, celle qui construit des vies pleines et authentiques.Cette arme est celle la confiance en soi.Pour cet homme la liberté n’a pas sexe.Alors Abnousse peut avancer dans la vie, faire d’autres rencontres fondatrices.
Dans le monde éclaté qui est celui de l’après communisme,la perte de repères est certaine. Le monde occidental pleure et gémit,l’ennemi n’existe plus ou pire il est devenu invisible.Dans leur malheur, les iraniens et Abnousse en particulier savent que Khomeiny est leur ennemi,elle peut donc s’opposer et ne rien céder à ceux qui méprisent le peuple et sa liberté.Salman Rushdie et ses versets sataniques publiés au péril de sa vie sera pour elle un phare. Ainsi qu’Isabelle Adjani. A l’occasion de la cérémonie des Césars l’actrice aura des mots mémorables “on croyait révolue l’exclusion de l’artiste et sa condamnation à mort” et pendant plus de trois minutes elle lira des extraits des Versets sataniques.« La volonté c’est de ne pas être d’accord, de ne pas se soumettre, de m’opposer »
Mais le marquis de Sade est celui à qui l’auteure voue une infinie reconnaissance. Elle doit être une des rares personnes en France à avoir dévoré ses oeuvres, malgré des passages interminables parsemés d’horreurs et tortures en tous genres.Sans doute grâce « Khomeiny, Sade et moi » la puissance révolutionnaire du divin marquis rencontrera un public plus large que celui des sadiens estampillés.C’est lui, ennemi des tyrans et de toutes les religions qui aura la sagesse de ne pas monter en épingle l’ennemi et surtout recommandera d’utiliser le rire comme arme de destruction.
La liberté prônée par Sade est « indissociable de la fin de l’ignorance et de la peur »
Quand on a peur écrit le divin marquis « on cesse de raisonner;c’est qu’on leur a surtout recommandé de se défier de leur raison et que quand la cervelle est troublée, on croit tout et n’examine rien. L’ignorance et la peur, leur direz vous encore, voilà les deux bases de toutes les religions »
Comme tous les libertins, Abnousse est en mouvement et partage sa soif de liberté avec ses lecteurs.Son livre est une entreprise de « dévoilement ». Le corps de la femme ne perd rien de son mystère et gagne en vérité à être nu. S’il provoque le désir tant mieux, car la vie est aussi provocation. Si de tous temps les hommes ont désiré autant que redouté le corps féminin, c’est qu’ils avaient peur d’être en situation de ne plus rien maîtriser, peur de la petite mort, abandon sublime à l’amour partagé.
Pour les ayatollahs de tous pays,montrer un centimètre de peau féminine est indécent. L’armée des fidèles porte sa croix ou tout autre grigri.Les femmes qui n’ont ni renoncé à changer le monde ni à secouer le joug de l’esclavage féminin portent fièrement leur féminité en jupe, un bâton de rouge à lèvres ouvert au désir de l’autre.
Ce livre est un voyage dans l’âme d’une femme moderne.Son rire a la puissance des amours enfantines et de l’insoumission. Qu’elle parle de cul, de con, de couilles, de bite ou de liberté, Abnousse Shalmani est poète. Si « Khomeiny, Sade et moi » est aussi jubilatoire c’est qu’au coeur de l’intime se développe ,sans la moindre affectation, un véritable discours de la méthode, permettant au lecteur de se choisir son camp. Sachant d’ou vient « la divine marquise », quel est son bagage culturel, son idéal, ses refus, on peut aborder sur le rivage de l’universel, y prendre pied et regarder l’Iran, l’occident, la France et le monde tels qu’ils sont et pourraient être. Dans « Que viva la Musica » Andrès Caicedo,écrivait: « Armes toi de tes rêves pour garder ta lucidité ». Abnousse est bien de la même famille.J’ai une immense gratitude pour une auteure qui apporte autant de bonheur et d’intelligence à ses lecteurs.
François Bernheim
Khomeiny, Sade et moi d’Abnousse Shalmani éditions Grasset