Qu’est allée chercher Virginie Luc le long du Danube ? Un matin à l’aube, elle a pris son sac et est partie à la rencontre des Tsiganes. C’est ce qu’imagine Tony Gatlif, préfacier de son Journal du Danube. Et on la suit volontiers, du delta du grand fleuve en remontant jusqu’à sa source. Ou ses sources, puisque deux ruisseaux se disputent le titre. Dans le récit sans poncifs qu’elle livre de son parcours, Virginie a trouvé de l’étymologie, une grande détresse, beaucoup de cœur, d’âme et de musique et aussi un peu d’elle-même.
Le peuple tsigane n’a pas d’histoire. Puisqu’il n’a pas d’écriture, pas de livres. La mémoire est dans les mots mêmes qui le désignent : Rrom qui remonte au sanskrit, Egyptiens, Gypsies ou Gitans, Bohémiens, qui décrivent les étapes d’un long voyage datant de l’époque, il y a mille ans, où un roi de l’Inde envoya à son cousin, roi de Perse, une tribu de talentueux musiciens. Depuis, ils errent, sans espérer de retour vers une terre promise. Leur rêve à eux serait un monde sans frontières. Ils n’ont aucune revendication territoriale. Et le ou la gadjé, c’est l’autre, l’autre absolu. C’est Virginie. Partout sur son parcours, elle est accueillie avec une immense générosité mais elle reste l’élément extérieur à la tribu.
La ballade poétique de Virginie Luc commence en Ukraine, sous le ciel froid d’un hiver tardif. Le delta « est un réservoir de peuples et de peurs ». C’est le point de départ de sa recherche, qui se révèlera liée à un souvenir d’enfance où des gens menaçants et mystérieux mènent une vie résonnant de guitares et de trompettes au bord de la Durance. Dans une de ces capitales de l’Est aux avenues « vides et brumeuses » où elle débarque en gare à 6 heures du matin, elle s’interroge : « Bucarest est une ville fantôme. A moins que ce ne soit moi. »
Le fil de l’eau va quitter la mer Noire, pénétrer au plus profond des Balkans et remonter vers les sources. A la rencontre d’Esma, « la diva des Balkans » au chant volcanique, qui « transpire la douleur de son peuple ». Elle et ses 47 enfants, tous adoptés, tous musiciens, pensent que « la musique est comme la lumière du jour ». La musique tsigane évoque à la fois la tristesse et la joie, elle fait pleurer ou danser. Elle est instrument de libération, comme le note Olah, le guitariste de Serbie. « On nous a interdit de parler le romani, alors on l’a chanté ». Partout sur son parcours, du ghetto musulman du Kosovo, avec ses « enfants de la boue », surnommé Bangladesh en raison de son extrême misère aux baraquements de Hongrie, Virginie Luc décrit « la chaleur qui monte au visage, se répand dans les corps », se communique comme une contagion, le chant qui s’incarne en un cri, les cœurs, « fraternels et primitifs », le cœur de braise des musiciens.
Mais qu’allait-elle donc chercher dans les musiques tsiganes et dans les eaux du fleuve ?
JOURNAL DU DANUBE
Virginie Luc
L’Âge d’Homme Rue Férou