Les Lectures d’aout 2014
de Francine Pampuzac
Seule sur le Transsibérien – Géraldine Dunbar -( Sillages 2012)
Seule pour faire un grand voyage sur ce grand train ? On imagine une baroudeuse, et on tombe sur une ravissante jeune femme aux longs cheveux blonds. Elle adore la Russie qu’elle a connue sous le régime soviétique. Mais là, elle s’embarque en 2004. Et c’est une sentimentale. On va de rencontre en rencontre, passagers du train :cheminots, étudiants, mères de familles, militaires, chasseurs, anciens déportés.. Bien sûr elle décrit les paysages et les escales. Ah ! le Lac Baïkal ! Le retour se fera d’un seul coup, 7 jours, en 3ème classe, avec une cinquantaine de personnes dans la même « pièce ». Beaucoup de vodka, et le lendemain, un Russe qui dit : » Je suis frais comme un concombre ».
A bicyclette – Joann Sfar –( Gallimard/France Inter – mai 2014)
Joann Sfar et moi avons un point commun : nous ne connaissons absolument rien du sport cycliste, mais lui, l’an dernier, a suivi le Tour de France et tenu une chronique quotidienne sur France Inter. En plus, il a écrit un genre de journal et fait plein de dessins. Les voilà réunis dans un gros bouquin étonnant. Pas de commentaires sportifs bien sûr mais beaucoup de réflexions sur le phénomène »Tour », sur la France et les Français. C’est très savoureux, et toujours bien intelligent ( et bien à gauche). Et puis il y a les dessins extraordinaires, du plus petit au plus grand, crobard ou pleine page, paysages ou gros plans, un régal visuel.
La folle histoire de l’urinoir qui déclencha la guerre. Flieder/Lesbros( Lattes 14)
Les auteurs imaginent qu’en 1910, l’Etat français décide d’organiser une exposition universelle en 1915. Voilà les pour, les contre, et les responsables. Des personnages connus arrivent en scène, et les intrigues se mélangent. Une critique du Masque et le Plume avait signalé ce livre comme très amusant. Son seul intérêt, c’est le décor parisien, avec ses De Dion Bouton, ses fiacres, ses vermouths- cassis, ses pastilles Vichy etc. Mais quelle lourdeur rapidement insupportable ! L’enfer de la littérature est pavé de bonnes intentions commerciales.
Je m’appelle Europe – Gazmend Kapllani ( Ed Intervalles. Dec 2012)
L’auteur, Albanais, veut fuir le joug soviétique. Il passe la frontière grecque dans le coffre d’une voiture. Grosses difficultés, efforts. Il a la chance de rencontrer une jeune fille, Europe, et rien de mieux qu’une amoureuse pour apprendre la langue. Mais tout le temps, il sent dans l’œil des gens « vous n’êtes pas d’ici ». En plus les Grecs détestent les Albanais qui viennent .. manger leur pain. Il faut lire ( page 104) la stupéfaction de l’auteur devant la vie des Grecs comparée à celle des Albanais d’alors. 3 pages très drôles. Le récit est entrecoupé de témoignages d’exilés, aux prises avec des problèmes sans nom, surtout avec la bureaucratie. L’auteur deviendra un écrivain grec de 1er plan . 150 pages qui valent leur pesant de réalisme.
Saturne – Jacek Dehnel – (Ed . Noir sur Blanc – fev 2014)
Voici la vie de Goya. L’auteur nous livre sa version en faisan parler tour à tour, Francisco Goya lui-même, son fils Javier, et Marino son petit-fils. Goya apparaît comme un personnage pas vraiment sympa, très autoritaire, coureur de jupon insatiable ( il en parle de façon non seulement crue, mais sale). Il fera 12 enfants à sa femme, mais tous mourront. Seul restera Javier et le livre exploite la thèse selon laquelle c’est ce fils qui a peint les fresques murales « les peintures noires ». Ce livre est passionnant, mais pas très facile. Il faut l’apprivoiser.
Un jour je m‘en irai sans en avoir tout dit –J D’Ormesson ( Laffont Août 13)
A un moment l’auteur dit : » ce livre qui commence avec mon grand-père et qui finit dans les étoiles ».En effet on démarre avec les histoires de famille, et avec celle, merveilleuse, de son amour pour Marie. Et puis au milieu du bouquin, nous voilà emportés dans de grandes questions philosophiques et scientifiques. Mais Jean d’Ormesson tient bien ses lecteurs ; avec son écriture si belle, si harmonieuse, avec ses pointes d’humour il fait tourner les pages, ménage des surprises, se traite d’idiot. C’est un grand plaisir. Et on tombe sur des formules qui feraient de bons sujets au bac philo, par exemple : la vérité est une tache infinie !
Les pieds noirs à la mer – Fred Neidhardt –(Bande dessinée Marabulle 2013)
L’auteur-dessinateur laisse parler ses souvenirs. Il met en scène un jeune ado qui, dans les années 80 débarque chez ses grands-parents à Marseille. Ce sont des pieds noirs. Il ne les connaît pas trop et sont adorable. Mais à travers les conversations, le garçon va découvrir un racisme féroce, étayé par la douleur jamais éteinte d’avoir dû partir d’Algérie « en laissant tout ». L’auteur ne juge personne. Il rapporte la réalité de cette famille abonnée au FN, qui a été accueillie en France par des banderoles « les pieds noirs à la mer ». Ce bédéiste crée des personnages très laids. Cela vaut la peine de s’y habituer.
En même temps, toute la terre et tout le ciel-Ruth Ozeki ( Belfond 1013).
Le hasard met entre les mains de Ruth, américaine, le journal d’une ado de Tokyo. Le document a traversé le Pacifique pour rejoindre l’ile où vit Ruth et son mari, au large du Canada. Le journal est passionnant car on y suit la vie d’une famille japonaise par la voix d’une fille en pleine crise d’adolescence : le père est suicidaire, la mère travaille pour nourrir la famille, mais heureusement, il y a une arrière-arrière-grand-mère, nonne zen de 104 ans ( !) et partager sa vie pendant des vacances va lui faire un bien fou. L’auteur sait entretenir les mystères, ménager des rebondissements, et à la manière de Murakami, flirte avec la physique quantique et les mondes parallèles. J’ai énormément aimé ce livre. L’auteure est née en Amérique d’une mère japonaise. Réalisatrice de films elle a pratiqué la méditation jusqu’à être ordonnée nonne Zen en 2010.
L’amour et les forêts – Eric Rheinardt ( Gallimard juin 2014)
Ce livre était couvert d’éloges avant même sa parution : à ne pas manquer parmi les 600 titres de la rentrée littéraire. C’est vrai, il est bon. Eric Rheinardt y joue son rôle : il est amené à rencontrer une lectrice qui lui avait envoyé une lettre très intéressante et se retrouve le confident d’une terrible histoire de couple, avec harcèlement moral et cruauté mentale. Fausses pistes, retournements de situation, hypocrisie sociale etc..entretiennent formidablement l’intérêt et je pense que ce livre est réussi car il est capable de faire naitre une saine colère à la lecture de certaines pages. Et puis il y aurait beaucoup à dire sur l’héroïne, Bénédicte Ombredanne, victime, certes, mais jusqu’à quel point consentante ? Quand elle se permet une parenthèse enchantée elle le fait avec une telle maladresse que les bras vous en tombent !