D’où vient le ravissement que procure la lecture de « Et rien d’autre » le dernier roman de James Salter ? Est-ce bien utile de le savoir ?
J’avoue sans la moindre fausse honte que ce livre est le premier roman que je lis de lui. Alors par prudence avant de prendre la plume, j’ai lu bon nombre d’excellents articles dans la presse cultivée. Tant pis, tant mieux, je les oublie pour revenir à mes premières impressions. James le presque nonagénaire vient d’écrire son 6ème roman. Le précédent a été écrit il y a trente ans. Première conclusion facile mais importante. L’homme prend son temps. Il a cette élégance, non dénuée d’humour, des vieux sages qui surprennent toujours leur auditoire, parce qu’ils ne s’expriment que lorsqu’ils en éprouvent la nécessité.
Certes, mais la lecture de « Et rien d’autre » me semble révéler tout autre chose. Il ne s’agit en rien d’un roman avec un sujet un verbe et un complément.
Par rapport aux quelques livres et auteurs lus dans une précédente vie, James Salter change la donne. Si son roman n’était que l’histoire d’un jeune éditeur newyorkais et de ses amours, il serait déjà plaisant, mais il va beaucoup plus loin.
Ici, le héros n’existe qu’en symbiose avec la lumière, la nature et les évènements qu’il vit. L’eau de la mer qui noie les guerriers dans la guerre du Pacifique, revient pour tenter d’engloutir les amoureux qui croient pouvoir décider de leur sort. Ce livre est une symphonie où l’harmonie veut que s’agglomèrent se mélangent les éléments qui construisent autant une vie qu’ils la détruisent.
Nous, un homme, une femme sommes plus proches que nous le croyons de la terre qui évolue au rythme lent de ses sédiments. Nous gesticulons, agissons en pensant que notre enveloppe corporelle est la limite de notre territoire et de notre autonomie. Sans doute faisons nous erreur. Mais en nous arque boutant sur notre fantasme de domination nous nous privons d’une richesse infinie. La prose de James Salter est musique , dialogue entre un navire de guerre , un corps de femme, la danse flamenco, l’amour , ses flux et reflux et un lecteur pris par la main , invité avec beaucoup de grâce à revisiter sa vie, nos vies. Certes la mélancolie est là, la tromperie également, mais cette histoire est d’abord une histoire du temps. Il épouse la mer dans ses flux et reflux. Ce qui est passionnant dans « Et rien d’autre », c’est la possibilité qui nous est donnée d’accompagner le mouvement d’une vie et de nous redonner à voir de quoi nous sommes faits. Nous sommes en toute humilité, invention, agrégation perpétuelle. Il y a là de quoi s’étonner, s’interroger sans fin. Le texte de James Salter est si travaillé si exigeant qu’il semble sortir avec la plus grande simplicité d’une plume attentive aux charmes de l’existence encore plus qu’à ses désagréments. Quel bonheur de ne plus être au centre de l’univers.
François Bernheim
Et rien d’autre de James Salter
Editions de L’Olivier