Francine a l’œil vif, le geste généreux et aime assez les livres pour en lire une dizaine par mois . Pire, plutôt que d’envoyer des nouvelles de sa santé à ses connaissances, elle leur fait partager ses plaisirs littéraires. Chaque mois depuis 2002, les amis de Francine Pampuzac reçoivent les notes de lecture de cette passionnée de littérature. Tous ne lisent pas le contenu de la lettre, mais au moins ils savent que leur amie va bien. Avant d’être une grande lectrice, Francine a été directrice de création dans plusieurs agences de publicité. Elle a eu la gentillesse de nous autoriser à diffuser ses notes de lecture sur le blog de mardi ça fait désordre. Nous l’en remercions chaleureusement.
Lectures d’Avril 2014 – Francine Pampuzac
La fille de mon meilleur ami – Yves Ravey ( Editions de minuit mars 2014)
Un thriller inquiétant et très réussi en 140 pages, c’est exceptionnel. Tout commence gentiment. William nous dit avoir promis à son ami, sur son lit de mort, de retrouver et de s’occuper de sa fille Mathilde. Et au 2ème chapitre, William a bien retrouvé la fille, mais, détail, elle sort d’un hôpital psychiatrique. Quant à William , on apprend au détour d’une phrase qu’il a été viré de son poste de directeur financier pour escroquerie et détournement de fonds. !..Mathilde veut voir son fils dont la garde lui a été retirée. Les aventures se succèdent. C’est improbable mais on marche. Le style est apparemment très simple. En fait, rien n’est simple dans ce roman presque noir, très original, palpitant, excellent.
La dame à la camionnette – Alan Benett – ( Buchet Chastel janvier 2014)
Alan Bennet ( rappelez-vous, « la Reine des Lectrices ! ») écrivain britannique, évoque un épisode de sa vie. Il a été amené à accueillir dans son jardin londonien, pour rendre service, la camionnette de Miss Shepherd, vieille dame excentrique. Et SDF. Ce sera une coexistence incroyable qui va durer… près de 20 ans, mais racontée en 1OO pages, avec un humour, une tendresse, une lucidité sans pareils.
Nageur de rivière – Jim Harrison – ( Flammarion mars 2014)
Deux histoires se succèdent dans ce livre. D’abord celle de Clive. Newyorkais, 60 ans, qui doit venir vivre avec sa mère pendant un mois dans le Michigan. Et puis l’histoire de Thad, 17ans, vivant dans une ferme sur les bords du Lac Michigan. C’est lui le nageur qui a donné son titre au livre. Pas grand-chose à voir entre ces deux histoires, si ce n’est que les deux héros vont comprendre que la nature est essentielle au bonheur des hommes, alors que la ville et ses épouvantables rapports d’argent ne donnent rien de bon. Clive, en accompagnant sa mère- personnage merveilleux, qui sait reconnaître le chant de 200 oiseaux- va remettre sa vie dans le bon sens. Quant à Thad, le nageur étonnant qui rêve de se plonger dans tous les fleuves du monde, il frôlera aussi l’univers des riches. Deux belles histoires, mais qui ne m’ont pas fait vibrer comme la découverte de Jim Harrison dans les années 70. Il a vieilli…et moi donc ! Un bon livre néanmoins..
Arden – Frédéric Verger ( Gallimard – mars 2014)
Attention pavé ! Pour moi un merveilleux pavé de 475 pages. Mais si les descriptions, aussi belles soient elles vous ennuient, ce livre n’est pas pour vous. Il démarre dans les années 30, en Marsovie, petite principauté d’Europe Centrale. Là, Alexandre est gérant du luxueux Hôtel d’Arden et son neveu veut raconter son histoire. 50 pages pourraient y suffire, mais ce serait se priver de tous ces personnages étonnants, de toutes ces scènes éblouissantes ( Ainsi, ce grand diner à l’Hotel , des pages merveilleuses!) de tous ces moments pleins de tendresse et d’humour. Alex écrit des opérettes avec son ami Simon, ami juif tailleur de son état. C’est le bonheur, mais la guerre arrive, avec les nazis. Alors c’est le temps des problèmes affrontés avec imagination. Couronné par le Goncourt du 1er roman ce livre est un régal pour les amoureux de la langue française, si bien utilisée ici, en artiste. Avec des aventures, des rebondissements – souvent impossibles mais savoureux, et tout le temps, des comparaisons étonnantes : « ce vers tombait dans la conversation avec l’élégance d’une jambe de pantalon bien coupée. Un délice vous dis-je.
Regarde les lumières mon amour. Annie Ernaux – ( Seuil mars 2014)
Le Seuil a créé une collection : « Racontez la vie ». Annie Ernaux y participe en notant, pendant un an, ses visites au Centre Commercial de Cergy. Cela donne des descriptions des lieux, des clients, des promos, des caisses et des caissières, avec commentaires d’une femme « qui regarde pour écrire ». Un réalisme froid. 70 pages. Je suis restée sur ma faim.
Le dernier message de Sandrine Madison – Thomas H Cook.(Seuil mars 2014)
Au premier chapitre, le narrateur est au tribunal. Il attend la décision du jury : coupable ou non du meurtre de sa femme ? Et il revit les 10 jours du procès. Chaque témoin fait ressurgir des souvenirs et le lecteur découvre peu à peu l’histoire de ce couple, et surtout la personnalité du narrateur perdu dans ses livres tout au long de sa vie. Sa fille est venue le soutenir, mais est-elle vraiment de son côté ? Remarquablement construit ce livre est passionnant, intrigant, et même émouvant . Coupable, non coupable ? Vous le saurez.. etc…
Caprice de la reine – Jean Echenoz – (Ed. de minuit – avril 2014)
Peut-on dire du mal d’un livre d’Echenoz ? Oui, si ce n’est pas un livre, mais la réunion de 7 récits. Le premier « Nelson » est une merveille mais pas les autres. Grosse déception.
La fête de l’insignifiance – Milan Kundera – (Gallimard mars 2014)
Ce roman/fable tourne autour de 4 amis Alain, Caliban, Charles et Ramon qui bavardent, dissertent, et vous entrainent dans l’absurde très naturellement. Si bien que rencontrer Staline et ses blagues discutables, entendre Alain parler avec sa mère – décédée -qui ne voulait pas le mettre au monde, voir Caliban s’inventer en Pakistanais pour faire le serveur dans les cocktails, etc.. tout cela se lit le sourire aux lèvres. En fait, on a l’impression que Kundera s’amuse avec ce roman protéiforme qui voudrait démontrer que la vie n’est qu’insignifiance. Ca se discute ? Eh bien, justement, toutes ses histoires « font penser » comme l’on dit. Et ce n’est pas leur moindre mérite le premier étant le plaisir de les lire.
La petite communiste qui ne souriait jamais – Lola Lafon ( Actes Sud janv 14)
C’est en 1976 qu’une petite gymnaste roumaine épatait et ravissait le monde entier : Nadia Comencini. Lola Lafon nous raconte sa vie, ponctuant son récit de commentaires de la Nadia de maintenant,, comme si elle lui soumettait son texte au fur et à mesure. L’entrainement démarre à 7 ans , Nadia se révèle une masochiste de l’effort, toujours plus, toujours plus. On vit les premières compétitions, la gloire au JO de Montréal 1976, l’enfant devenant une icône exploitée politiquement pour la gloire des Ceausescu. Mais elle va prendre de l’âge..La vie en Roumanie est terrible. Et les dernières pages, consacrées à la fuite de Nadia aux USA sont très grises. Grandeur et décadence ! Ce livre est un roman, avec du vrai bien sûr, mais beaucoup d’imagination aussi. Qu’importe, c’est un sacré bon bouquin !
Cocaïne – Christophe Mouton ( Julliard – février 2014)
Pendant les 150 premières pages, notre héros nous fait partager une nuit de livraison de ses précieux sachets , samedi, chez des bourgeois parisiens.. Et après il va nous dire comment, de gentil petit arabe de banlieue, il est devenu dealer. Il faut dire que la nature l’a doté d’un cerveau supérieur à la moyenne, ce qui lui vaut d’être intégré à Sciences Po, sans examen, grâce à la discrimination positive. Il a détesté cette école, mais il en a retenu bien des principes et des relations qui vont lui servir dans son nouveau boulot. Il y a là un ton très orignal et personnel, avec un humour grinçant qui tient bien la route.. Et quelle documentation : les prix, les doses, les techniques de coupages, l’usage délicat du téléphone . J’ai été passionnée et un peu secouée quand il dit par exemple qu’ « il parle parfaitement le blanc ! ».