Quand j’écris mon voir quelque chose dans une image – avec des mots, j’arrive parfois à un regard mais si je parle, je ne fais que du texte. André Houllier
« Le Sammy’s », New York, 1940 – 1944, une photographie de Lisette Model.
J’ai vu le tirage original. Il est daté entre 1940 et 1944. Je me suis penché vers lui parce qu’il m’arrivait à hauteur du ventre. J’ai mal au dos mais j’ai aimé le pli roulé – retourné au creux de mon estomac. J’ai remonté les cimaises des salles d’exposition pour revenir le voir – venir le revoir. J’ai acheté sa reproduction à la librairie du musée pour ne se dire qu’au revoir.
J’ai honte de l’anthropomorphisme qui décide de mon regard sur le monde. Mais l’image dont je parle refuse de se soumettre à la rhétorique d’un calcul ou d’un message. Il a suffi que je me présente – que je sois présent à l’humanité de ce couple enlacé par le noir et blanc. Dès lors, j’ai cru en eux bien plus qu’en leur image argentique. Cette rencontre était convenue mais je n’en savais rien.
J’ai eu envie de m’assoir sur le sol, replier une jambe, déplier un bras, orienter un index muet dans leur direction pour déjeuner sur l’herbe en leur compagnie. Chez Manet, le doigt n’est pas tendu mais légèrement courbe comme pour atténuer son caractère directif. Il appelle à lui autant qu’il désigne.
Je me suis assis sur le sol moquetté d’un musée à Anvers, il y a plus de vingt cinq ans. Attablé devant une toile de Constant Permeke qui représente un homme avec des mains comme des raquettes pleines de scories et de brou de noix.
Cette fois, je n’ai pas osé. L’âge, le zèle des gardiens du musée ? Peut-être qu’on ne se pose pas comme ça devant une photographie comme on le ferait avec une peinture ? Ou alors devant une plaque de verre, une plaque des débuts de la photographie quand il ne fallait pas bouger à cause du temps de pause ? Bouger c’est toujours disparaître.
André Houllier
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