Interview de Bernard Cohen « l « que viva la Musica »

 François Bernheim

Vous connaissiez l’œuvre d’Andrés Caicedo avant que l’on vous propose de traduire « Que viva la musica » pour les éditions Belfond

Bernard Cohen

Pas du tout, je connaissais très mal la littérature colombienne et beaucoup mieux celle du Chili et de Cuba. Pour moi la découverte a été totale et c’est un véritable défi que je me suis lancé à moi même. A l’automne 2011, l’éditeur me présente ce livre « génial » mais intraduisible. Si il était impossible à traduire, Il fallait donc donc que je le traduise.

Je me suis mis au travail et pour ne rien laisser au hasard, j’ai décidé d’aller passer un mois à Cali en Colombie. J’ai rencontré ses amis, sa sœur Rosario qui est devenue ma sœur et je me suis trouvé dans un état fusionnel avec cette œuvre. Cela pourrait faire le même effet qu’un accouchement ou toute une nuit passée en boîte de nuit.

FB

La drogue est très présente dans « Que viva la musica » pourtant l’univers décrit n’est pas celui d’un junkie.

BC

Oui. Andrès parle de la drogue et de ses effets d’une façon négative. Lui tenait très mal la drogue. Il les a toutes essayées et il n’était pas emballé. A la fin de sa vie, il est mort à l’âge de 25 ans, il consommait de plus en plus de cocaïne (Perico en espagnol ou perroquet en français car la blanche fait parler ses consommateurs comme ces oiseaux ) et cela a accéléré son état dépressif. Sa copine disait qu’il était pété matin, midi et soir. Mais les choses sont très contradictoires. Avec « Que viva la musica », il pensait avoir abouti à une expression littéraire forte, mais ce livre était aussi un défi, un point de départ. Ses amis ont retrouvé un autre manuscrit de lui très fort « Noche sin fortuna »

FB

Andrés parle de son héroïne Maria del Carmen comme de la coauteure du livre ?

BC

Il aurait voulu cosigner le livre et que son nom apparaisse après celui de Maria del Carmen. Pour un homme, il s’est formidablement bien mis à la place d’une femme. A la fin du roman il y a un basculement. Ce sont elle et lui qui parlent et à la toute fin, c’est elle qui reprend.

FB

La langue française n’est-elle pas très rigide, académique par rapport à la langue espagnole ?

BC

Il y a de la proximité sonore entre les deux langues. Dans les deux il y a une poésie interne, par exemple pour les nombreuses allitérations en a et en o. Mais l’espagnol permet de faire des néologismes, c’est une  langue attrape-tout. Le français de ce point de vue est faible, il n’est pas amalgamant.

FB

Vous imaginez en France un auteur connu pour la qualité de son œuvre littéraire introduire dans son roman de multiples références à des chansons populaires ?

BC

Sans doute pas, mais cela tient aussi au statut de la littérature en France qui reste un passe-temps réservé à un public de lettré, alors qu’en  Amérique latine,  moins cérébrale la  littérature est réellement populaire. Imaginez la traduction de cette œuvre en anglais, c’est encore plus difficile.

La Mona ,l « la mignonne », Maria a un parcours culturel de plus en plus assumé. Les trois piliers en sont :

1/Le cinéma américain ( sans oublier la proximité de l’auteur avec Pasolini et son roman/ film Théorème)

 

2/ Le rock and roll et en particulier les Rolling Stones

 

3/ La culture populaire latino, notamment la Salsa.

 

Andrés avait une connaissance charnelle et scientifique du rock. Il avait, dans les années 70 des informations incroyables sur les jeux de pouvoir à l’intérieur du groupe des Rolling Stones . Plus de trente ans après, en 2010 le livre de Keith Richard corrobore ce qu’Andrès en a dit à l’époque. Il appréciait très fort une musique dont il ne comprenait pas bien les paroles, car il parlait mal anglais. Il a été voir sa petite sœur qui vivait aux Etats Unis, on sent qu’il avait un complexe d’infériorité qui rejoint celui des latino par rapport aux Etats Unis. Il était très lucide. Il avait compris que les années 70 avaient ouvert un espace de liberté qui allait se refermer. J’ai parlé à ses amis. Il n’a jamais voulu être un militant au sens où on l’entend habituellement. Par contre il était très critique par rapport au pouvoir en place et à son conservatisme. Il a été féministe avant tout le monde, partisan de la liberté sexuelle, il a aussi eu une expérience homosexuelle. C’était un personnage très moderne. Il écrivait à beaucoup de gens dans le monde entier. Sans doute aurait-il adoré Internet. Le lire, aujourd’hui est un véritable bonheur.

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