1/ La disparition de Deborath L éditions du Seuil ___
2 / Rencontre avec Michael Freund ___________________
1/ Critique du livre
J’en suis persuadé la plupart des livres qui racontent une histoire particulière en s’interrogeant en profondeur sur cette histoire, ont une portée universelle. Ces livres deviennent passionnants voire haletants quand ils entremêlent plusieurs niveaux de lecture. Ainsi l’enquête à propos de la disparition de l’ethnologue Deborah Lifchitz devient une quête sur l’identité du narrateur et aussi une histoire d’amour idéale c’est à dire sans accomplissement physique. Ce qui fait la force de ce livre c’est la problématique personnelle de l’auteur, c’est à dire son aptitude à tirer parti de la perturbation intime qui est la sienne. Ce récit est le premier de Michael Freund et on espère seulement que ce ne soit pas le dernier.
Les questions qui agitent ce livre sont magnifiques :
Qu’est-ce qui fait que l’on s’intéresse au sort de quelqu’un ? D’abord il y a ces fameux incidents de la vie que d’autres nomment hasard qui font qu’à un moment où l’on se trouve disponible une information nous titille le cortex , la difficulté à avancer fait monter la tension jusqu’à la révélation. La volonté de savoir ce qui est arrivé à cette femme met en question l’identité de celui qui entreprend la recherche. Michael Freund sans théoriser, nous dit beaucoup sur cette machine infernale ou engrenage qui fait que même dans l’impasse on ne peut faire autrement que poursuivre l’exploration en cours. La démarche est-elle pour autant un leurre ? En l’occurrence non. Nous apprenons beaucoup sur les ethnologues, les résistants du musée de l’Homme, Les préjugés et luttes de pouvoir. Qui a dénoncé Deborah ? Aurait-elle été coupable d’être juive, lesbienne ou communiste ?
L’enquête est complexe et l’auteur ne cache ni sa naïveté ni les difficultés auxquelles il se heurte. Fort heureusement pour lui il est assisté par une historienne que sa démarche intéresse au plus haut point. De quelle nature est la communion entre ces deux êtres ?
La femme du narrateur qui apprend qu’il s’est rendu à Auchwitz sans le lui dire a-t-elle raison de penser quelle a été trompée au dernier degré ?
Sans avoir besoin de trouver des excuses existentielles au héros peut –on penser que la personne qui vous est le plus proche ne peut participer à une quête au départ très confuse ?
Loin d’une forme de questionnement académique, Michael Freund raconte une histoire où le lecteur devient maître du jeu Respect et plaisir.
2/ Rencontre avec l’auteur
Récit ou Roman ?
Il est bien possible que Michael Freund ait écrit un récit-roman. Son intérêt pour Deborah L est la base du livre. Il s’est imaginé à tort que l’ethnologue Denise Paulme parlait de sa collègue de travail sur un ton qui laissait préjuger d’une implication de cette dernière dans sa disparition. L’extermination de Deborath est hélas bien réelle. L’enquête que mènent l’auteur et l’historienne Katy Hazan a totalement sa raison d’être, car rien à part les lourdeurs administratives et le fait que son patron était juif et communiste ne justifiaient le sort qui a été le sien. A l’évidence le déclenchement de l’enquête ne repose donc pas sur une base objective. Mais est-il obligatoire d’avoir de bonnes raisons de chercher la vérité, quand cette même vérité est porteuse de sens ?
Joëlle est bien le prénom de la femme de Freund, comme l’historienne elle a voulu apparaître sous son vrai nom. Quid du rapport privilégié de l’auteur avec sa partenaire de recherche ? Il affirme à raison ou à tort qu’il était pour elle un dossier comme un autre.
Quid également de la tromperie que subit sa femme et du silence de Mikael. L’idée d’un homme mutique enfermé dans le passé et se coupant des siens pourrait bien relever de la fiction. Sauf que le silence de ceux qui sont revenus appartient à la triste réalité de l’après guerre.
L’auteur à travers ce livre a-t-il cherché plus ou moins consciemment à en savoir plus sur sa propre identité ? Il affirme que non. Katy Hazan aurait pu l’orienter dans ce sens mais lui s’intéresse avant tout à apporter son témoignage sur le sort réservé à Déborah L.
Identité
Le juge reconnaît que Mikael qui a pris le nom de sa mère est bien le fils de son père. Mikael n’est pas pour autant satisfait » parce que, aussi paradoxal que cela puisse vous paraître, je suis à peine moins hors la loi que je ne l’était il y a 60 ans » Sans doute aurait –il préféré que son père ait reconnu l’existence de son fils au quotidien.
Détracteurs
Certains s’offusquent que M F participe à son tour au Shoah business
D’autres accusent l’auteur d’avoir calomnié Denise Paulme
D’autres encore sont scandalisés par l’image négative des juifs polonais que le livre véhicule.
Certes comme le dit lui même l’auteur les juifs autrichiens ont une autre aura que les juifs polonais.
Kafka
MF pour les besoins de son livre a rencontré Marthe Robert la grande spécialiste de Kafka qui a accompagné son père pendant quelque temps. Cette dernière confirme que les éditions Gallimard malgré ses critiques envers la traduction d’Alexandre Vialatte ont persisté dans leur volonté de faire appel à lui. D’autres germanistes ont également relevé des contresens flagrants dans son travail. Mais est-ce par ailleurs un hasard si le narrateur du livre de MF s’arrête à la porte du château et s’estime « hors la loi » ?
Catastrophe
Le sort réservé à un individu est révélateur du traitement infligé à des millions d’hommes et de femmes. La disparition de Déborah L parle bien de la catastrophe collective subie par l’humanité à travers les juifs
Après le livre
Sensibilisée au sort de Deborah L par les recherches de l’auteur, Karen Taïeb qui pilote les recherches effectuées par le mémorial de la Shoah a acheté l’ensemble des documents et écrits de l’ethnologue disparue, dont son journal. MF qu’elle a invité à les consulter les a trouvé aussi intéressants qu’émouvants.