Jonathan Dee
La fabrique des illusions éditions PLON
Voilà un roman qui est un vrai roman , on y parle d’amour de mort et aussi de vie ratée. Il est aussi à travers le microcosme publicitaire, une réflexion sur l’époque, le fric, les idéologies.Le plus curieux et sans doute fascinant dans ce livre, c’est qu’il est monté comme un véritable film , mettant en avant deux histoires parallèles, l’une est de l’apprentissage amoureux et sexuel, mettant en avant le personnage de Molly qui fait scandale en couchant avec un ami de son père à l’occasion des baby- sitting qu’elle effectue pour la famille. L’autre est de celle de la découverte du monde publicitaire à travers l’ascension de John et de la rencontre de son gourou Mal Osbourne. Quand les deux histoires se croisent on s’aperçoit que les deux John n’en sont qu’un et qu’on a eu le privilège insensé de voir vivre simultanément un même homme à deux moments de sa vie.
La fabrique des illusions n’est pas un roman sur la publicité, encore que le monde Newyorkais de la pub qui y est décrit n’est pas très loin de celui que l’on a connu ici à Paris dans les années 90, La fabrique des illusions montre à merveille comment le discours sur la publicité est devenu le discours d’une société dont l’idéologie est de ne plus en avoir. Comme beaucoup d’autres publicitaires Mal Osbourne a rêvé de faire de la publicité sans client. A défaut pour que la pub soit de l’art , en forme de point d’interrogation sur notre monde, il faut que le client accepte que son produit disparaisse de la publicité.Ce débat recouvre celui qu’a suscité Benetton avec les campagnes du photographes Toscani qui ce sont approprié les guerres, les désastres humanitaires, le Sida , pour faire tourner la machine. Plus profondément le débat sur le story telling recouvre la problématique du livre. La réalité serait ce que l’on en dit et rien d’autre. La suite a prouvé que lorsque un pays voit le chômage le désintégrer progressivement , les plus beaux discours du monde ne résolvent aucun problème. Le personnage du Gourou Mal Osbourne est particulièrement intéressant , voilà un publicitaire qui déteste très sincèrement la publicité et les produits qu’elle met en avant. Il est donc la démonstration vivante de l’extrême complexité du processus de communication. Le publicitaire est celui qui est capable de magnifier un produit dont au mieux il n’a rien à faire. Le consommateur lui achète le discours mais aussi le produit car on ne lui a pas donné le choix. John, l’autre héros du livre s’efface derrière le talent de Mal. Il est un génial facilitateur, assez transparent pour servir de porte-voix. Rome ,lieu de dépravation et d’illusions doit –elle pour autant être détruite ? C’est ce que semble croire un des authentiques artistes de la fabrique dont le chef d’œuvre final sera de mettre le feu à l’édifice et de mourir avec lui. Ici le sens de la dérision, la lucidité n’empêchent nullement de se heurter à une impasse. Les bâtisseurs de monde avant d’être très intelligents sont des gens d’appétit et de volonté, des monstres vivants. Serions nous devenus des zombies ?
François Bernheim