A quoi sert d’avoir des yeux, un corps, des sens si c’est pour reproduire la vie telle que l’ont imaginé, ceux qui n’ont pas d’imagination et qui en conséquence se satisfont de relire pour la millième fois le même roman, de parcourir les mêmes rues en répétant toujours le même discours ? Une vie sans romantisme ressemble donc à chaque seconde à une mort annoncée, c’est-à-dire dénuée de vie. Vivre, c’est être en mouvement, parfois sur la corde raide, vivre c’est tanguer entre ses sentiments et la découverte du monde. Si on ajoute à cela que la promenade peut prendre la forme d’une errance urbaine et volontiers nocturne dans des quartiers où la bienséance n’est pas de mise face à l’irruption du désir, on aura compris que de Pigalle aux bas fonds de Buenos Aires s’élabore une forme de transgression au parfum aussi sourd et violent que les fantasmes les plus débridés. La liberté de se connaître, de rencontrer la compagne d’une nuit est celle de parcourir la ville, de l’interroger sans relâche sur ce qu’elle dissimule de soi disant honteux sous son couvercle de plomb.
Ici l’élégance, le style , la pudeur même , n’ont rien à voir avec l’esprit bourgeois et le goût de l’épargne. Bien au contraire un dandysme conséquent est celui qui affiche sa descente aux enfers comme une exploration esthétique du sentiment de perte. C’est au bord du gouffre que s’affirme la beauté. Les amateurs de l’impossible, ceux qui recherchent toute une vie le « duende » où l’heure bleue jazzistique savent de quelle exigence se nourrit une légèreté qui ne doit rien à la frivolité.
Dans les années 1983 – 1985 Jean Louis Ducournau a créé la revue Tango avec Ricardo Mosner comme directeur artistique et illustrateur. Le succès a été à la hauteur de l’exigence. Les numéros passés sont épuisés.Tango renaît aujourd’hui comme une sorte d’accord parfait entre le désir fulgurant et son expression urbaine et nocturne. Se voulant aussi intense que fragile, Tango taquine le diable pour 4 numéros. Pourquoi résister à l’enfer quand il ressemble au jardin des délices ?
Le numéro 2 de Tango sortira en Novembre 2010. le numéro 1 se trouve dans les très bonnes librairies et certainement pas rue de Lappe. Jean Echenoz, Carlos Gardel, Francis Marmande, Patrice Bollon, Ricardo Mosner et bien d’autres larguent ici les amarres de la frilosité. Il fait vertigineusement beau au pays de la revue Tango . Site : tango-bar-editions.com
Ps : En lisant la revue j’ai eu une pensée émue pour le sublime film de Jean Daniel Pollet
avec Claude Melki revisitant le tango sur une musique composée par Antoine Duhamel.