Association créée en décembre 2007, Cette France-là se propose de documenter le traitement réservé aux étrangers qui, selon les autorités françaises, auraient vocation à être « éloignés » : tout au long du ou des mandats présidentiels de Nicolas Sarkozy, il s’agira donc de publier les « annales » de cette politique, soit de l’illustrer, à raison d’un volume par an, en relatant l’histoire d’hommes et de femmes qui la subissent, en décrivant les pratiques de ses exécutants, en relevant les résistances qu’elle rencontre et en examinant les arguments dont elle se réclame.
Deux récits relatant le traitement réservé aux étrangers
Pour plus d’information voir le site : http://wwwcettefrancela.net et le livre Cette France là.
Qili Qu
Le rêve de Qili Qu est de devenir cuisinier dans un restaurant de cuisine française. Inscrit au lycée professionnel en bac pro cuisine, il a déjà fait des stages chez de grands restaurateurs parisiens des XVIIe et VIIIe arrondissements de Paris. Stages prometteurs, puisque la chef du restaurant gastronomique La Fermette a écrit une lettre de soutien pour appuyer sa demande de régularisation.
Qili aurait aimé continuer dans ce domaine en faisant un BTS restauration. Mais, en tant que sans-papiers, il sait que l’administration risque de refuser son inscription pour poursuivre ses études. En outre, à vingt et un ans, il lui faut à la fois contribuer davantage à l’économie familiale et continuer à payer le prix de sa venue en France.
Qili a quinze ans lorsqu’il arrive à Paris pour rejoindre ses parents venus en 1999. Il se souvient de son arrivée après un périple de quarante jours en avion, autobus et bateau : le racket, la peur d’être agressé par ceux qui profitent de l’isolement des Chinois sans papiers, l’impossibilité de communiquer : « Quand on ne parle pas français on ne peut rien faire pour se défendre », explique-t-il.
Qili vient de la ville de Qidou, près de Wenzhou. Seuls ses grands-parents sont encore en Chine. Le reste de sa famille habite désormais en Europe. Il vit avec ses parents et sa soeur dans le IIe arrondissement de Paris. Son père fait des travaux dans les boutiques et sa mère « fait la couture ».
En rentrant de l’école, Qili travaille avec sa mère sur les machines à coudre pendant deux-trois heures le soir. Mais il ne se plaint pas. Il se considère chanceux d’être arrivé jeune, d’avoir appris le français, une nouvelle culture, et un métier. Ses parents auraient bien aimé apprendre le français aussi, mais ils travaillent tellement pour rembourser les dettes qu’ils n’en ont pas le temps.
Cela va faire dix ans que ses parents sont en France, et ils n’ont toujours pas de papiers. La famille ne compte plus les démarches entreprises avec des intermédiaires chinois ou des avocats qui promettent des solutions rapides, moyennant finance, mais dont les démarches n’aboutissent à rien.
Plus récemment, Qili a découvert RESF par l’école ; il a désormais un parrain qui l’appuie dans ses démarches. Lorsque Qili est devenu majeur, en juillet 2007, son parrain a déposé avec lui une nouvelle demande de régularisation. Après un rendez-vous plutôt positif à la préfecture, la réponse est tombée en septembre 2007 : OQTF.
Qili sait que, s’il parvient à avoir des papiers, il sera mieux payé et le travail sera moins dur. Sinon il lui faudra continuer à travailler au noir sans possibilité d’évolution. Mais il sait aussi que, s’il devait retourner en Chine, il perdrait son niveau d’études acquis en France. « Je devrais recommencer tout en bas de l’échelle. » Et continuer à payer la dette.
Pour l’heure, le jeune homme s’efforce de ne pas penser à cette obligation de quitter le territoire, qui flotte au dessus de sa tête comme une épée de Damoclès, et a bon espoir de réussir dans la vie. « Après tout, je porte le même nom que Jean-Claude Killy », plaisante-t-il.
Amélie Bekay et Mikaël
Le 11 février 2008, à 8 heures du matin, trois policiers en civil sonnent chez Amélie Bekay, trente-sept ans, pour lui demander de les suivre, elle et son bébé, Mikaël, au poste. Elle a tout juste le temps de réveiller celui-ci, de prendre quelques couches, et elle se retrouve avec son enfant âgé de quinze mois en garde à vue au commissariat de Tours.
Amélie Bekay est congolaise et réside en France depuis mars 2001. À son arrivée, elle a fait une demande d’asile qui n’a pas abouti. Depuis trois ans, elle vit avec son compagnon, Michel Auku, et ils doivent se marier prochainement. Lui est en situation régulière depuis dix-huit ans et travaille comme chauffeur routier.
Ce matin-là, Michel est déjà sur les routes quand sa compagne l’appelle pour l’informer de son arrestation. Il contacte tout de suite un avocat qui se montre optimiste sur la libération immédiate d’Amélie et de Mikaël, vu l’âge du bébé et leur situation familiale stable. Mais à 17 heures, Amélie appelle Michel pour lui apprendre qu’elle a été transférée avec Mikaël au CRA de Rennes. Elle n’a plus de couches ni de quoi nourrir son bébé. Son compagnon fait le premier d’une longue série de trajets entre Tours et Rennes pour les voir et leur apporter le nécessaire.
Quelques jours plus tard, le juge des libertés et de la détention estime qu’il n’y a pas de raisons valables pour garder Amélie et son enfant en rétention administrative. Cependant, le procureur fait appel de cette décision et la rétention est prolongée pour la mère et son bébé. Au tribunal, Michel fait la connaissance des associations rennaises de soutien aux sans-papiers, qui sont évidemment choquées d’apprendre la présence du bébé dans le centre de rétention. Ensemble, ils choisissent d’alerter la presse et, le soir même, France 3 rend compte de leur situation.
Il reste que la machine administrative est lancée et l’éloignement d’Amélie et de son enfant est programmé pour la nuit du 27 au 28 février. Ce soir là, Michel découvre, sur le parking du CRA, un comité de soutien inattendu : quelques militants associatifs, plusieurs élus locaux des villages voisins et même le député de la circonscription, Marcel Rogemont (PS). La presse est également présente.
Vers 2h45 du matin, à quinze minutes du départ pour Roissy, Michel obtient l’autorisation de voir son fils et sa femme. Après quinze jours en rétention, le petit Mikaël est amaigri, semble apeuré et ne réagit pas comme d’habitude. « Dans le centre, il y a du monde partout, des gens qui crient. Ce n’est pas adapté pour un bébé. Même les policiers et les détenus sur place le disaient », explique Amélie.
Un bras de fer s’engage alors entre le préfet et les élus, qui mettent leur voiture en travers de la route pour signifier qu’ils ne laisseront passer personne. La police les verbalise et les coups de téléphone continuent. Les associations et les élus conseillent à Michel de rédiger une lettre signifiant qu’il s’oppose à ce que son fils quitte le territoire. Sachant que Mikaël ne pourra pas être expulsé et ne voulant pas être séparée de lui, Amélie refuse d’embarquer.
Le préfet doit annuler le départ, une décision qui soulage jusqu’au commandant de gendarmerie du centre de rétention. Celui-ci confie en effet à Michel : « Vous avez pris la bonne décision avec le refus d’embarquer de votre femme, et honnêtement cela nous arrange tous. » Comme le veut la loi, Amélie Bekay est placée en garde à vue pour « refus d’extraction de cellule », un acte passible de prison, avant d’être libérée sous contrôle judicaire, avec Mikaël, dans la journée.
C’est le 17 avril qu’Amélie apprend qu’elle ne sera finalement pas poursuivie pour son refus d’embarquer. Depuis, la préfecture lui délivre des récépissés de demande de titre de séjour. Et le couple attend son deuxième enfant.