Gurdweil, écrivain juif ultra-sensible, a-t-il raison d’épouser la baronne Théa von Takov , aristocrate autrichienne, caractère de fer et main leste ?

Sombre question qui n’augure rien de bon. Le très oublié David Vogel est l’auteur de La Vie Conjugale, seul roman paru de son vivant, qui aurait dû lui valoir le 1er rang des auteurs de la Mittel Europa, s’il n’avait toujours été un spécialiste des mauvais choix, des mauvais endroits et des mauvais moments. Né en Ukraine en 1891, élevé en yiddish, parlant aussi russe et allemand, il apprend l’hébreu, c’est la langue qu’il choisira pour écrire, en 1929 à Tel-Aviv, son roman situé à Vienne. Il aurait pu devenir un auteur important du tout jeune état palestinien. Mais spécialiste des mauvais choix, il va retourner en Europe, en Pologne, à Berlin, à Paris, où les nazis n’auront qu’à le cueillir pour l’enfermer à Drancy et l’expédier à Auschwitz en mars 44. Il y mourra quelques jours après son arrivée.

Voyageur imprévisible dans les langues et dans les pays, toujours fauché, « raide comme un passe-lacets », il se sert non seulement des éléments que lui fournit sa vie cahotique, mais arrive à faire passer dans son œuvre une sensibilité et une sensualité intenses.

La Vie Conjugale est le récit de l’enfer quotidien que subit Rudolf Gurdweil. Il a épousé une baronne viennoise sans charme, sans attraits physiques, sans argent. Il éprouve pourtant pour elle une inexplicable attirance. Avec quelques amis, il fréquente les cafés, et parcourt les rues d’une Vienne insouciante et dévergondée, croisant toutes sortes de personnages qui donnèrent aussi leur matière au docteur Freud exactement au même moment. Chez lui, il vit un enfer. Théa n’en fait qu’à sa tête, déserte quand bon lui semble, multiplie les rencontres douteuses. Gurdweil veut s’aveugler sur la vraie nature de leur relation, se replie sur lui-même, sombre dans une mélancolie hallucinée. Il se laisse torturer avec naïveté. Elle le sadise, elle va jusqu’à le battre, mais au fond, c’est ce qui les lie, l’étrange plaisir qu’il tire de leur relation malade. Pour lui, le corps de sa femme « dégage un érotisme puissant et obsédant ». Et quand elle attendra un enfant, elle saura distiller la nouvelle qu’il n’en est pas le père. On sait depuis le début que toute cette histoire ne peut que mal finir mais c’est la force de l’auteur de tenir son lecteur en haleine jusqu’à la fin.

Heureusement, un autre roman de David Vogel, retrouvé dans des archives en Israël, est parvenu à nous faire entendre cette voix particulière. C’est Romance viennoise, qui montre une Vienne bouillonnante aux parfums d’automne et de prostituées et aux lumières de printemps dans un milieu où on est peintre ou écrivain. C’est l’histoire, inspirée d’un épisode de la vie de l’auteur, du jeune et ardent Michael Rost, curieux de découvrir la vie, la sienne et celle des autres. Pour commencer, il apprend de sa logeuse les plaisirs du sexe et en même temps n’est pas insensible au charme de sa fille adolescente. A l’époque, il « n’est pas encore un homme perdu ».

Ce Michael Rost, comme ce Rudolph Gurdweil et sans doute aussi David Vogel, promeneurs poétiques dans une Vienne qui sent le foin et la débauche sont terriblement touchants. Modernes pour toujours.

 

Marie Hélène Massé

 

 

DAVID VOGEL

La Vie Conjugale

Romance Viennoise

Editions de l’Olivier

 

 

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