par Marie Hélène Massé


 

Derrière le foisonnement des grands et des petits noms de la littérature, il y a ce qu’Eric Dussert appelle Une Forêt Cachée, soit  156 portraits d’écrivains dont le nom s’est progressivement ou brutalement effacé de notre mémoire. Certains ont parfois une seconde chance. Ainsi, « l’Ascension de M. Balesvre », roman de 1920 réédité en 2000, « simple et très beau… qui n’a pas pris une ride » aux dires d’Eric Dussert, n’a pas rendu à son auteur Edouard Estaunié la gloire qu’il méritait peut-être. Ni même une ébauche de notoriété, voire la reconnaissance des critiques et des lecteurs contemporains. Rien. Et il en a été de même pour André Baillon, Belge, neurasthénique, patron de café, éleveur de poules, dont il est dit qu’il fut un prosateur étonnamment efficace et que son « Zonzon Pépette fille de Londres » reparu aux Cent Pages en 2006 eut entre 1914 et 1918 « un large succès d’estime, bien mérité ». Cette Zonzon est « l’une des plus belle fleurs de bitume de la littérature francophone… toi je t’emmerde est son antienne » ce qui évoquera peut-être pour quelques fins lecteurs une autre gamine littéraire parvenue, elle, jusqu’à nous.

Tels qu’ils sont décrits, rien ne réunit ces écrivains sauf bien sûr leur actuel anonymat. Il y a des modestes, des sarcastiques, des semi délirants, des journalistes, des poètes ouvriers, un magistrat humaniste, quelques proches de Gaston Chaissac, des copains d’Apollinaire ou de Pagnol. Des spécialistes de l’effacement, des subversifs dédaigneux des conventions et démesurément épris de liberté. Il y a le diplomate Basile Sainte Croix qui, bien que dans le cercle des poètes consulaires, n’a pas connu le destin d’un Claudel ou d’un Saint-John Perse auquel il vouait une grande admiration. Ou encore Titaÿna, une reine du Tout-Paris et type de la garçonne des années folles. Il y a ceux qui ont connu de leur vivant une gloire dont l’écho nous est parvenu. Certaines oreilles peuvent encore être chatouillées par les noms de Maurice Dekobra, dit le Paul Morand des midinettes, mais qui vendait son million et demi d’exemplaires dans les années 30, d’Edmond Aboux ou Jean Aicard dont les signatures ont orné pendant longtemps les dictées des classes de primaire, d’Alfred T’Sertstevens au nom qui valait un roman, ou de Cami, humoriste, conteur, romancier, dessinateur, scénariste, modèle de Charlie Chaplin et de surcroît chouchou d’un prof de français. Et que celui qui se souvient encore de l’auteur de Clochemerle lève le doigt. C’était un certain Gabriel Chevallier, par ailleurs auteur de « l’un des plus grands livres sur la guerre, un livre d’une liberté, d’une honnêteté et d’une lucidité incomparable ». L’injustice qui le touche peut encore être réparée : Le Dilettante et Le Livre de Poche ont ressorti en 2010 ce chef d’œuvre inconnu, comparable aux écrits de Céline, Barbusse, Dorgelès, Genevoix, Remarque, « La Peur ». Il faut d’ailleurs noter que La Peur, déjà réédité en 2002, avait alors succombé au feu, puisqu’il avait flambé dans l’incendie du stock de son diffuseur, tombant au champ d’honneur pour la seconde fois.

Acharnement du sort ? Peut-être. Comme pour Hélène Bessette, pourtant chaudement recommandée par Marguerite Duras et par Queneau. « Lisez Hélène Bessette » titre Duras dans un article de L’Express dans les années 60. Mais pour elle comme pour les autres, rien n’y fait.

 

Une forêt cachée

156 portraits d’écrivains oubliés

Eric Dussert

La Table Ronde

 

Des textes de certains de ces auteurs ont été réédités ou sont accessibles sur le site gallica.com

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