Du 25 au 29 Septembre se tenait à Manosque, le très apprécié festival littéraire Les Correspondances. Tous ceux qui aiment  la littérature, les belles rencontres, les surprises et le charme Provençal seraient bien inspirés d’inscrire dès maintenant l’édition 2020 à leur agenda.

Depuis 1999, au moment où l’été entre-ouvre sa porte aux intermittences de l’automne  les plus beaux livres de la littérature française et étrangère débarquent à Manosque. La ville aurait-elle le pouvoir de se transformer en port maritime, chaque fois que le festival  » Les Correspondances » y jette l’ancre ?

A observer le titre des livres de Marie Darrieussecq  » La mer à l’envers »(1) et de Louis-Philippe Dalambert,  » Mur Méditerrannée »(2) on pourrait facilement le croire. Qu’on ne s’y trompe pas, la littérature a ici de profondes racines. Tu comprends me dit René Frégni, les soirées d’hiver sont longues, alors on lit des livres. Une médiathèque, une librairie de pointe  et deux excellents bouquinistes en portent témoignage. Ici les livres ici ne sont ni une relique, ni un bouche-trou. Ici les livres aident à vivre, à savoir pourquoi on est sur terre et comment s’y comporter. Le même René Frégni avec la justesse et la simplicité  qui le caractérisent confie, au cours d’un apéritif littéraire, que sa mère lui a tellement apporté de douceur et de tendresse qu’il a voulu que sa fille profite à plein de cet héritage. Plusieurs fois par semaine il l’emmenait à la bibliothèque, ensemble ils choisissaient au moins quatre livres, les dévoraient, ensemble ils retournaient à la bibliothèque. Il était le père mais aussi un peu la mère de son enfant, alors sa fille l’appelait Mea-pa. A Manosque, en dehors des églises, d’ailleurs fort belles, chacun a le loisir d’inventer des rituels qui nourrissent autant qu’ils font sens. La littérature y occupe une place de choix, elle tisse des liens entre les imaginaires des habitants de la cité. Ici, bien au-delà du révéré Jean Giono, on lit comme on respire: naturellement. Les fruits et légumes sont beaux, craquants, les livres également. J’avoue sans vergogne venir pour la première fois aux Correspondances et avoir été émerveillé. Pendant cinq jours Manosque devient la grande ville de la littérature et de la poésie.

La proximité entre les lieux de rencontres littéraires permet de choisir tout autant que d’être exposé à ce que l’on a pas sélectionné. Ainsi au- delà des affinités connues, place est faite à la découverte à la surprise. La qualité des intervieweurs est également sidérante, ils ne sont pas seulement dans leur domaine de prédilection des professionnels accomplis. Ils ont ce quelque chose en plus qui fait  que rien de ce qui est complexe ne l’est trop, puisque vous, moi et les autres sont considérés comme des invités de marque avec qui il est plaisant de converser.

J’avoue bêtement m’être demandé si ces tous ceux qui affluaient sur les différentes places de Manosque  étaient vraiment des amoureux de la littérature. Au bout de trois jours, j’ai compris que mon questionnement n’avait pas lieu d’être. A partir du moment où l’on est là, peu importe les motivations de départ, on s’expose tout simplement à être charmé, interpellé, surpris. A la proximité géographique s’ajoute une forme d’hospitalité bienveillante permettant à chacun de faire partie d’une famille qui a l’audace de ne pas vouloir limiter le nombre de ses enfants.

Ici les propositions mettant en avant des auteurs abondent, ainsi on peut, à la fois, avoir le sentiment d’être bien nourri et de rester sur sa faim…

« Les Correspondances »  se sont bien sûr les dialogues, affinités, contradictions entre deux auteurs, j’ai ainsi pu apprécier les duos entre deux exils, celui de Louis Philippe D’alembert et celui de Beata Umubyeyi Mairesse, survivante du génocide Tutsi au Rwanda (3). Amitié à la limite de l’amour, découverte de soi et du monde, Sylvain Prudhomme(4) et Blandine Rinkel (5) tracent un chemin aussi fort que singulier. Radicalisation, attentats de Novembre 2015, Abel Quentin (6) et Constance Rivière (7) écoutent la violence et les fragilités d’un monde qui vacille. Olivia Rosenthal dans une lecture incarnée, encourage les bâtards de toutes sortes à faire de leur vulnérabilité une force novatrice (8). Impossible de citer tous les auteurs mais deux voix de femmes m’ont subjugué. Natacha Appanah avec un phrasé d’une douceur incandescente (9) et celle ahurissante et charnelle de Claudie Hunzinger (10). Parité oblige je citerai aussi deux voix d’hommes celle de Jonathan Coe (11) qui m’a fait redécouvrir à quel point la musique d’une voix est aussi importante que ce qu’elle raconte et in fine je ne bouderai pas le plaisir que j’ai eu à écouter les sarcasmes drolatiques d’Eric Chevillard (12). Dans cet océan de générosité bienveillante, un brin de méchanceté talentueuse  offre un utile contrepoint.

Après ces journées bien pleines, les soirées du Théâtre Jean-le-bleu donnaient à d’excellents comédiens l’opportunité  de mettre en avant de très grands textes. En toute partialité assumée je citerai Jacques Bonnafé accompagné du musicen Théo Hakola  pour Dracula de Bram Stocker, Nicolas Bouchaud suscitant effroi et admiration pour Ahmet Altan (13), journaliste et romancier  condamné arbitrairement pour son indépendance d’esprit par la dictature turque. L’immense comédien qu’est Jean Quentin Châtelain nous a donné à dévorer un texte pantagruélique de Jim Harrisson (14). La littérature était encore présente dans les concerts, ainsi Lescop chantant Arthur Rimbaud.  » On n’est pas sérieux quand on a dix sept ans »

Fort heureusement « les Correspondances » nous incitent à imaginer qu’il n’y a pas d’âge pour rire, s’émerveiller et pourquoi pas penser !

« Les Correspondances », c’est aussi la correspondance, la possibilité ouverte à tous à travers des écritoires répartis aux quatre coins de la ville d’écrire à la personne de son choix, la poste se chargeant d’acheminer gratuitement ces courriers. Les amoureux des images fortes, auront également visité avec bonheur l’exposition de Bernard Plossu – Back and Forth: les deux côtés de la frontière Mexicano – Américaine.

Quand la recherche de l’intime aborde de front les tragédies du monde contemporain, on se prend à rêver

que la volonté d’être en accord avec soi-même, devienne synonyme de solidarité avec tous ceux qui refusent de soumettre à une pseudo fatalité.

La littérature, la poésie qui cultivent les champs épars de notre imaginaire nous aident à tenir debout comme à laisser ouvertes les portes d’une autre façon de vivre. Avec talent et générosité « les Correspondances » multiplient les passerelles  vers un ailleurs  que chacun peut, à sa façon, cultiver. Si ce n’est pas le bonheur, ça y ressemble étrangement.

 

François Bernheim

 

Trois articles critiques à venir sur  » Mardi ça fait désordre et sur le club Médiapart:

-Tous ses enfants dispersés de Beata  Umubyeyi Mairesse – en ligne Le 9 / 10/ 2019

– Eloge des bâtards d’Olivia Rosenthal en ligne le 14/ 10 / 2019

– Dernier arrêt avant l’automne de René Frégni.en ligne le 18/ 10/ 2019

www. cafaitdesordre.com

 

(1)  Marie Darrieussecq  » La mer à l’envers » POL 2019

(2)  Louis Philippe Dalembert  » Mur Méditerranée  Sabine Wespieser 2019

(3) Beata Umubyeyi Mairesse  » Tous tes enfants dispersés » Autrement 2019

(4) Sylvain Prudhomme  » Par les routes » L’arbalète Gallimard 2019

article: http://cafaitdesordre.com/blog/2019/08/je-vis-pas-ma-vie-je-la-reve-1/

(5) Blandine Rinkel « Le nom secret des choses » Fayard 2019

(6) Abel Quentin  « Soeur » L’observatoire 2019

(7) Constance Rivière  » Une fille sans histoire » Stock 2019

(8) Olivia Rosenthal  » Eloge des Bâtards » Verticales 2019

( 9)Natacha Appanah  » Le ciel par dessus le toit » Gallimard 2019

(10) Claudie Hunzinger  » Les grands cerfs » Grasset 2019

(11) Jonathan Coe  » Le coeur de l’Angleterre Gallimard 2019

(12) Eric Chevillard  » l’explosion de la Tortue » Minuit 2019

(13) Nicolas Bouchaud  » je ne reverrais plus le monde » de Ahmet Altan Actes Sud 2019

(14) Jim Harrisson « Un sacré gueuleton: manger, boire, vivre » Flammarion 2018

4 réflexions au sujet de « Passerelles de l’imaginaire sur Manosque »

  1. Magnifique reportage sur les « correspondances » de Manosque qui nous donne envie d’y participer l’an prochain et dont la presse a peu parlé. Merci à François B. D’élargir notre horizon et de nous faire respirer un parfum provençal !…

    • Merci beaucoup. Je crois que la force de l’évènement réside dans son enracinement local.Peu de journalistes de la presse nationale descendent à Manosque. Ce qui ne semble pas gêner les organisateurs.

  2. cher monsieur vous avez une carriere devant vous dans le tourisme je compte sur vous pour me faire decouvrir Manosque en 2020 !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Site web

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.